Führer und Verführer Film germano-slovaque de Joachim Lang (2024), avec Robert Stadlober, Fritz Karl, Franziska Weisz, Dominik Maringer, Moritz Führmann, Till Firit, Christoph Franken, Michael Glantschnig, Katia Fellin, Oliver Fleischer, Martin Bermoser, Wolfram Rupperti, Emanuel Fellmer… 2h04. Sortie le 19 février 2025.
Franziska Weisz et Robert Stadlober
Le cinéma possède une puissance encore inégalée qui lui permet d’évoquer à peu près tout ce qu’il veut. Y compris en substituant des vérités alternatives à des faits avérés, ce qu’il n'a fait que dans des circonstances extrêmes, le plus souvent à des fins de révisionnisme ou de pure propagande. La Seconde Guerre mondiale occupe évidemment une place à part dans ce registre et a fourni l’inspiration à d’innombrables films, notamment à Hollywood pendant plusieurs décennies. À cette ère de bruit et de fureur a succédé ces dernières années une nouvelle approche de cette période, moins factuelle et spectaculaire, mais plus analytique et réaliste. Avec aussi cette volonté de ne pas oublier l’une de ses composantes les plus tragiques, la Shoah dont les survivants s’éteignent les uns après les autres, et avec eux leurs témoignages inestimables comme contrepoison aux thèses négationnistes et à une tentation résurgente pour le populisme, y compris sur les lieux de bien des crimes, l’Allemagne et l’Europe de l’Est. Des films tels que Le fils de Saul ou La zone d’intérêt ont connu un retentissement plutôt rassurant, sans vraiment attirer les foules. Reste que le nazisme lui-même reste une mécanique diabolique qui n’a pas encore livré tous ses mystères, mais dont le cinéma continue à explorer les aspects les moins connus, notamment en Allemagne où le voile de la mémoire étouffée a commencé à se déchirer dans les années 60, quand d’anciens Nazis ont été démasqués et jugés après s’être fondus dans la population pendant des années. La fabrique du mensonge s’attache ainsi à la personnalité d’un personnage clé du Troisième Reich qui a développé à lui seul une discipline redoutable : la propagande. Cet homme, c’est Joseph Goebbels, l’ordonnateur des leurres et des réécritures d’un régime qui va abuser de l’endoctrinement de son propre peuple pour anéantir ses ennemis en utilisant tous les moyens de communication à sa disposition, des actualités cinématographiques aux productions à grand spectacle de Leni Riefenstahl ou de Veit Harlan.
Robert Stadlober
La fabrique du mensonge a finalement été préféré à un premier titre beaucoup plus impersonnel : Goebbels et le Führer. Même si ce sont bien eux qui en sont les personnages principaux, le sujet du film s’articule autour cette notion de vérité alternative qui abreuve aujourd’hui les réseaux sociaux pour leur attribuer le pouvoir suprême : celui de manipuler les opinions afin de mieux les retourner à l’avantage de quelques apprentis sorciers. C’est tout l’intérêt de ce film qui utilise le passé pour donner à réfléchir sur le monde contemporain. Sa facture proprement dite est rien moins que classique et réussit à éviter le piège de la fascination, même si l’esthétique sans doute un peu trop ostentatoire a une fâcheuse tendance à flatter des échanges à l’authenticité historique attestée. La principale difficulté d’une telle entreprise consiste pour un acteur à s’emparer d’un personnage monstrueux, par ailleurs dépeint comme un père de famille modèle, et à éviter d’en donner une image trompeuse à travers son seul talent d’interprétation. L’affaire se corse encore quand il s’agit d’Adolf Hitler dont Bruno Ganz a délivré naguère le portrait ultime sans une once de complaisance. Joseph Goebbels possède quant à lui une image beaucoup moins familière qui facilite en quelque sorte la tâche de Robert Stadlober qui l’incarne en s’appropriant son détachement mêlé de cynisme. La personnalité du scénariste et réalisateur constitue par ailleurs un atout supplémentaire. Cet universitaire au-dessus de tout soupçon s’est fait connaître à travers les documentaires et les programmes pédagogiques qu’il a produits pour la télévision. Il aborde donc son sujet d’un double point de vue d’historien et de journaliste, en épurant la forme pour mieux isoler ses protagonistes dans une sorte de monde parallèle où ils se trouvent de plus en plus coupés du reste du monde. Ce film est un remède implacable contre les pièges de la désinformation et de la manipulation de masse qu’on qualifie aujourd’hui de Fake News. Ses qualités proprement cinématographiques apparaissent dès lors un peu accessoires.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire