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“Slocum et moi” de Jean-François Laguionie



Film d’animation franco-luxembourgeois de Jean-François Laguionie (2024), avec (voix) Elias Hauter, Grégory Gadebois, Coraly Zahonero, André Marcon, Mathilde Lamusse… 1h15. Sortie le 29 janvier 2025.





Jean-François Laguionie est un authentique pionnier du cinéma d’animation français, au même titre que Paul Grimault (La bergère et le ramoneur, 1953), qui a produit ses trois premiers courts métrages, ou René Laloux (La planète sauvage, 1973). Il est l’un des derniers survivants encore en activité d’une époque pas si reculée où cet art relevait encore du travail manuel et où même les Studios Disney se montraient dans l’incapacité de produire plus d’un dessin animé tous les deux ans en raison du temps nécessaire et du nombre de petites mains mobilisées. Slocum et moi n’est ainsi que le septième long métrage en quatre décennies de cet artisan discret auquel son ultime court, La traversée de l’Atlantique à la rame (1978), a valu une Palme d’or à Cannes et un César. L’action se déroule au début des années 50 dans un jardin au bord de la Marne où un représentant de commerce attiré par le grand large entreprend de construire la réplique du voilier à bord duquel le navigateur américain Joshua Slocum a bouclé le premier tour du monde en solitaire entre 1895 et 1898. Un pari fou dans lequel le bricoleur du dimanche embarque son épouse et son fils, pour mieux renforcer l’esprit de cette famille. Simultanément, ce film dont on imagine qu’il aurait pu inspirer naguère des cinéastes populaires comme Gilles Grangier ou Jean-Paul Le Chanois montre le regard de l’adolescent évoluant au fil des années qui scandent ce pari fou et son accès personnel à l’âge adulte. Avec en filigrane cette société française de l’Après-Guerre qui s’autorise à exaucer ses rêves pour exorciser ses démons.





Slocum et moi assume son statut de fable. C’est un film résolument hors du temps qui assume son caractère nostalgique tout en exaltant un esprit aventureux qui va de Mark Twain à Joseph Conrad, en racontant une histoire dans l’esprit du Bateau sur l’herbe (1971) de Gérard Brach. En reconstituant l’époque de sa jeunesse, Jean-François Laguionie, né au début de la Seconde Guerre mondiale, assume et même revendique le caractère testamentaire de son film en apportant un soin particulier au moindre détail. Derrière la simplicité apparente de son film affleure un perfectionnisme du moindre détail qu’il manifeste depuis ses débuts. À une époque où le cinéma d’animation ne cesse d’innover en exploitant les technologies les plus sophistiquées, ce réalisateur épure son art comme jamais en reproduisant l’esthétique de l’époque qu’il dépeint et notamment en puisant parmi les souvenirs qu’ont pu en immortaliser des photographes comme Henri Cartier-Bresson ou Robert Doisneau. À leur usage du noir et blanc, il répond par des couleurs pastel et une douceur omniprésente qui célèbrent les guinguettes au bord de l’eau, le cinéma du samedi soir et les conférences ethnographiques de la salle Pleyel. Et même si la nostalgie n’a pas vraiment le vent en poupe en cette ère de wokisme, ce film est riche de la mémoire magnifiée de son auteur si discret. C’est une merveille de délicatesse dont le charme et l’élégance méritent davantage de retentissement que n’en suscite habituellement Laguionie, le plus modeste des réalisateurs d’un cinéma d’animation qui n’a jamais goûté le tapage.

Jean-Philippe Guerand






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