Feng Liu Yi Dai Film chinois de Jia Zhangke (2024), avec Zhao Tao, Zhubin Li, Jianlin Pan, Zhou Lan, You Zhou, Ren Ke, Maotao Hu, Xu Changchu… 1h51. Sortie le 8 janvier 2025.
Beaucoup de cinéastes ont caressé le fantasme de réaliser un film au fil du temps en laissant vivre et vieillir leurs interprètes. Avec le risque que l’un d’eux disparaisse ou que n’importe quel imprévu vienne entraver le projet. Richard Linklater y était parvenu avec Boyhood (2014), échelonné sur une période de douze ans, tandis que Lars von Trier a déclaré un jour avoir entrepris un film dont il tournerait des séquences à intervalles réguliers… avant d’y renoncer purement et simplement. Avec cette idée folle que l’art réussisse à soumettre la vie à sa volonté à travers une toute puissance vertigineuse. Jia Zhangke a repris ce principe en tournant son nouveau film de 2001 à 2023, une période au cours de laquelle non seulement ses protagonistes changent, mais le numérique connaît de multiples mutations et surtout l’environnement alentour subit des mutations considérables. Cette course à marche forcée de la Chine vers un futur à géométrie variable constitue l’un des thèmes de prédilection du réalisateur qui s’en est souvent fait le témoin, notamment dans 24 City (2008) où il suivait la destruction d’une cité ouvrière remplacée par un complexe résidentiel de luxe. Les feux sauvages suit un homme et une femme à travers le temps dans un espace mouvant. Le cinéaste y utilise par ailleurs des images filmées par ses deux chefs opérateurs de prédilection, son compatriote Yu Lik-wai et le Français Éric Gautier, à l’aide de caméras qui ne cessent d’évoluer, de se perfectionner et de se miniaturiser pour devenir de plus en plus discrètes. Or, c’est précisément ces juxtapositions techniques et esthétiques qui donnent un indéniable supplément d’âme à son propos somme toute assez universel sinon élémentaire.
Zhao Tao et Zhubin Li
En observant attentivement le monde autour de lui et en confrontant des images documentaires qui reflètent l’évolution accélérée de la Chine, le réalisateur insuffle à cette romance un rythme qu’on pourrait qualifier de cardiaque. Il semble prendre en permanence le pouls de ses personnages et en arrive à entretenir une confusion assumée entre ce qui relève du réel et de la fiction. Les feux sauvages (dont le titre original pourrait se traduire par le plus éloquent Génération romantique) cultive d’ailleurs des connivences sinon des résonances avec un autre film montré en sélection officielle à Cannes en 2024, Chroniques chinoises, où Lou Ye, s’attelait à l’achèvement d’un projet entrepris des années plus tôt, en procédant à des acrobaties technologiques pour en décrypter les rushes enregistrés dans de multiples formats obsolètes et reprendre le tournage pour se voir percuté cette fois par la pandémie de Covid-19. Deux projets symptomatiques de la situation de ces illustres représentants de la sixième génération du cinéma chinois pour qui la domestication du temps semble être une préoccupation ontologique fondamentale. Jia Zhangke choisit quant à lui de confronter ses personnages à la société qui évolue autour d’eux, parfois si vite qu’elle provoque un décalage entre eux, jusqu’à cette séquence finale où le présent unit symboliquement le passé et le futur en glissant un robot parmi un groupe de danseurs traditionnels. Comme pour illustrer la célèbre maxime du Prince de Salina dans Le guépard de Luchino Visconti selon laquelle « il faut que tout change pour que rien ne change ».
Jean-Philippe Guerand
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