Hamon Film japonais de Naoko Ogigami (2023), avec Mariko Tsutsui, Hana Kino, Akira Emoto, Tamae Andô, Noriko Eguchi, Kami Iraiwa, Hayato Isomura, Osamu Kaô, Midoriko Kimura, Erina Masuda, Ken Mitsuishi… 2h. Sortie le 29 janvier 2025.
Akira Emoto, Mariko Tsutsui et Hana Kino
On ne dira jamais assez combien l’apparition de la société de distribution Art House a contribué à élargir notre connaissance du cinéma japonais contemporain en montrant au public français des films auxquels il n’avait pas toujours accès auparavant, c’est-à-dire pour l’essentiel des œuvres qui ne figurent ni parmi les plus grands succès commerciaux ni parmi les longs champions sélectionnés voire primés dans les festivals du monde entier. Déboule aujourd’hui parmi ce panorama kaléidoscopique une comédie plutôt atypique. Son personnage principal est une femme seule qui voit réapparaître dans sa vie son mari après une longue absence. D’un coup d’un seul, la sérénité qu’elle avait réussi à trouver en ralliant la secte de l’eau se trouve pour le moins perturbée par cet intrus qui se montre pourtant rassurant malgré le mal de vivre qu’il ne peut réprimer. D’un tel sujet, on pouvait tirer aussi bien un drame existentiel qu’une comédie de mœurs. La réalisatrice Naoko Ogigami, dont quatre films ont été sélectionnés à la Berlinale mais aucun distribué à ce jour en France, refuse ce choix manichéen et signe un film hybride qui traite d’un phénomène sociologique spécifiquement japonais qui repose sur un sursaut de religiosité pour le moins anachronique. Avec à la clé une dérive qui a conduit à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzō Abe par un membre de l’Église de l’Unification survenu au cours du tournage du film. Bien que celui-ci ne fasse pas référence à une obédience précise, c’est ce phénomène qu’il met en perspective comme un substitut rassurant dans un monde de plus en plus difficile à décrypter et à supporter.
Le jardin zen peut être vu comme une charge sardonique contre une société qui tente d’apaiser ses névroses en se réfugiant dans une autre dimension pour panser ses plaies tant bien que mal. Le film est indissociable du couple improbable formé par le mari défaillant et parfois attendrissant qu’incarne Ken Mitsuishi et la femme affranchie rattrapée par son passé que campe la toujours imprévisible Mariko Tsutsui, laquelle va perdre une bonne partie de ses illusions au contact de cet intrus encombrant. Avec ce symbole spectaculaire que représente le jardin magnifique et reposant dont elle ratisse inlassablement le sable et taille les branches avec amour depuis des années. Reflet de son apaisement personnel et aussi du cadre extrêmement ordonné qui évoque irrésistiblement par son harmonie géométrie et artificielle celui de la famille Arpel dans la maison futuriste de Mon oncle de Jacques Tati. Jusqu’au moment où un détail de l’épaisseur d’un brin d’herbe vient tout gâcher… À travers cette histoire singulière qui reflète des dysfonctionnements ô combien plus endémiques, Naoko Ogigami entend aussi prendre le pouls de la société japonaise contemporaine qui voit son identité et ses traditions séculaires malmenées à la fois par sa porosité aux influences extérieures et la soif de modernité de sa jeunesse minoritaire dans un pays menacé de vieillissement. C’est cette confusion morale et psychologique qu’exprime cette femme mûre qui a dû se résoudre à sa solitude subie, quitte à sacrifier ses meilleures années. Jusqu’à une scène finale totalement surprenante qui marque sa libération ultime et entraîne le film tout entier dans une dimension subversive et peut-être aussi prophétique qui perpétue avec humour le mauvais esprit de certaines œuvres transgressives de Shōhei Imamura ou Nagisa Ōshima. Avec un bouquet final vraiment très surprenant et un grand numéro d’actrice.
Jean-Philippe Guerand
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