The Room Next Door Film hispano-américain de Pedro Almodóvar (2024), avec Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro, Alessandro Nivola, Juan Diego Botto, Raúl Arévalo, Victoria Luengo, Alex Høgh Andersen, Esther-Rose McGregor, Alvise Rigo, Melina Mattthews, Sarah Demeestere, Anh Duong, Bobbi Salvador Menuez, Tom Johnson… 1h47. Sortie le 8 janvier 2025.
Julianne Moore et Tilda Swinton
Comme avant lui en leur temps Federico Fellini, Luis Buñuel, Ingmar Bergman ou François Truffaut, Pedro Almodóvar est devenu très rapidement un monument du cinéma européen dont chaque film constituait un événement et suscitait des louanges. Au point qu’on en était arrivé à faire mine de ne pas remarquer que si Cannes, Venise et Berlin se relayaient pour sélectionner ses films, leurs jurys ne lui accordaient que des accessits. Il aura fallu Isabelle Huppert à la Mostra pour réparer enfin cette injustice qui confinait au grotesque et offrir sa première statuette en or à un cinéaste de 75 ans qui a attendu patiemment cette consécration si tardive. L’œuvre du fondateur de la Movida en atteste : il a atteint au fil de son œuvre une rare perfection dont plus personne ne semblait même s’ébaubir, alors même qu’elle tranchait avec les standards du cinéma contemporain moins attachés aux sentiments qu’aux effets spéciaux. L’ironie veut que ce soit avec son premier long métrage en langue anglaise qu’il remporte enfin tous les suffrages, lui qui avait renoncé à un projet précédent au milieu du gué, de peur de buter sur cet obstacle et s’était offert entre-temps deux galops d’essai sur des durées plus brèves avec La voix humaine (2020) et A Strange Way of Life (2023). Le cinéaste espagnol retrouve dans La chambre d’à côté l’interprète britannique du premier de ces courts métrages, Tilda Swinton, avec à ses côtés l’une des meilleures comédiennes américaines de sa génération, Julianne Moore. La première incarne une romancière qui retrouve au cours d’une signature une amie journaliste perdue de vue depuis des années en la personne de la seconde devenue entre-temps reporter de guerre. Elle va alors lui proposer l’hospitalité dans des circonstances très particulières.
Tilda Swinton et Julianne Moore
Avec ce film épuré qui se réduit petit à petit à la cohabitation de ses deux personnages féminins, Almodóvar va droit à l’essentiel. Lui qui jouit d’une réputation de styliste hors pair réduit à l’extrême les artifices, même si chaque plan reflète son sens de la perfection, que ce soit dans l’architecture de cette maison qu’on croirait sortie d’une revue de décoration, l’harmonie de ses couleurs et de ses matières, les costumes de ces dames et la perfection du moindre cadrage. Il n’en fallait pas moins pour donner une telle grâce à cette petite danse de mort qui soulève par ailleurs un sujet tabou aux États-Unis : le suicide assisté. Jamais dupe de cet enjeu sociétal, le cinéaste espagnol qui ne pouvait aborder le thème délicat de l’euthanasie que dans ce contexte puritain trouve là l’occasion de rendre hommage à deux de ses maîtres : Alfred Hitchcock, qui lui inspire un stratagème policier destiné à déjouer les soupçons de la justice et lui a montré la voie en situant La loi du silence (1953) au Québec qui comptait une importante communauté catholique, et surtout Ingmar Bergman à travers un argument qui constitue une sorte d’hommage appuyé aux deux femmes en miroir de Persona (1966) recluses sur une île où elles partagent une relation ô combien fusionnelle. Avec ce codicille qui a incité le réalisateur à confier aussi à Tilda Swinton le rôle de sa propre fille en jouant de sa ressemblance évidemment troublante avec sa mère. La chambre d’à côté est un labyrinthe mental fascinant dans lequel il fait bon s’égarer et se perdre en conjectures. Comme la vision en coupe d’un cerveau en ébullition. C’est d’ores et déjà une œuvre majeure qui ne livre ses secrets qu’au bout de ses visions successives et figure parmi les sommets d’un auteur qui en compte déjà bon nombre, mais ne prend jamais la pose ni n’impose au spectateur une solennité factice. Le réalisateur est d’ailleurs déjà au travail sur son opus suivant, Amarga Navidad. Et comme un bonheur arrive rarement seul, une autre plateforme de streaming, Mubi, programme simultanément le premier long métrage réalisé par le fondateur de la Movida, très controversée à sa sortie : Pepi, Luci Bom et autres filles du quartier (1980). Un raccourci saisissant !
Jean-Philippe Guerand
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