Film franco-belge de Delphine et Muriel Coulin (2024), avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon, Maëlle Poesy, Béatrice Pérez, Sophie Guillemin, Édouard Sulpice, Arnaud Rebotini, Hugo Bariller, Denis Simonetta, Franco Provenzano, Thomas Arnaud, Abdel Bouchendidkh… 1h58. Sortie le 22 janvier 2025.
Vincent Lindon, Benjamin Voisin et Stefan Crepon
Pierre travaille de nuit comme agent de maintenance pour la SNCF tout en élevant seul ses deux fils auxquels il a inculqué un certain sens moral. Jusqu’au jour où il apprend que l’aîné a été aperçu faisant le coup de poing avec des gens peu recommandables. Dès lors, il se met à douter et se demande comment faire comprendre au jeune homme qu’il a embarqué sur une voie de perdition. L’avantage de confier un tel rôle à Vincent Lindon, c’est que son passé cinématographique plaide en sa faveur et que le personnage qu’il incarne dans le troisième film des sœurs Coulin s’inscrit en quelque sorte dans la continuité des combattants qu’il a incarnés si souvent devant la caméra de Stéphane Brizé. Il est d’ailleurs sans doute l’un des seuls acteurs français à se révéler aussi crédible dans les emplois de capitaines d’industrie et de cadres supérieurs que dans ceux d’ouvriers, de chômeurs et de syndicalistes. Avec face à lui deux jeunes comédiens pourvus d’un potentiel considérable et par ailleurs très complices dans la vie : Benjamin Voisin et Stefan Crepon. Comme le souligne son titre, Jouer avec le feu -qui s’inspire du roman de Laurent Petitmangin “Ce qu’il faut de nuit” (La Manufacture de livres, 2020)- montre à quel point la puissance des sentiments s’avère de peu de poids face à certaines influences extérieures. À une époque où les notions les plus élémentaires sont battues en brèche, ce film décrit l’endoctrinement comme un poison lent qui prospère dans les tribunes des stades, les démonstrations de rue et sur les réseaux sociaux sous les prétextes les plus anodins. La mise en scène choisit toutefois d’adopter le point de vue du pater familias aimant qui ne discerne de la situation que ce qu’on lui en laisse apercevoir. À cette nuance près que dans une ville moyenne, l’anonymat reste relatif.
Benjamin Voisin
Lauréat de la Coupe Volpi du meilleur acteur à la Mostra de Venise pour sa composition toute en nuances, Vincent Lindon nous offre son regard dépourvu de certitudes sur ce récit, avec aussi les doutes qu’il implique. Les réalisatrices s’y tiennent et ne se livrent qu’à de très rares échappées, contrairement à ces films à thèse si populaires dans les années 70 dans lesquels la dénonciation passait forcément par l’exposition frontale des faits. Le dispositif choisi par les sœurs Coulin est infiniment plus audacieux par sa subtilité et ses ellipses, mais aussi d’autant plus risqué. Il atteint d’ailleurs sa limite au cours du dénouement à travers une volte-face surprenante qui est davantage imposée qu’expliquée, mais pas question ici d’entrer dans les détails pour le plaisir de spoiler. Reste que sous prétexte de décortiquer le mécanisme diabolique de l’endoctrinement, le film montre avec minutie à quel point il peut se révéler inéluctable et surtout imparable lorsqu’il opère dans la clandestinité. En d’autres termes, loin des yeux, loin du cœur… C’est toute la puissance d’un scénario qui préfère suggérer que montrer l’engrenage de la violence à travers ces fameux signaux faibles qui ne deviennent dangereux que par leur accumulation imperceptible. Un discours d’autant plus nécessaire qu’il s’applique plus généralement à la radicalisation sous toutes ses formes au sein d’une société surmédiatisée et impuissante à se protéger contre les canaux qu’elle a créés sous couvert de faire circuler la libre parole, lesquels constituent désormais une menace endémique pour la démocratie, ainsi que l’atteste la montée en puissance des extrêmes. Ce film résonne donc comme un cri d’alarme. À prendre très au sérieux.
Jean-Philippe Guerand
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