Accéder au contenu principal

“Je suis toujours là” de Walter Salles



Ainda Estou Aqui Film brésilo-français de Walter Salles (2024), avec Fernanda Torres, Selton Mello, Fernanda Montenegro, Antonio Saboia, Maeve Jinkings, Marjorie Estiano, Humberto Carrão, Valentina Herszage… 2h15. Sortie le 15 janvier 2025.



Selton Mello



Considéré comme le chef de file du cinéma brésilien depuis son troisième opus, Central do Brasil (1998), dont le retentissement a été mondial, Walter Salles n’a pas vraiment suivi la voie royale qu’on lui prédisait et n’a finalement tourné qu’une demi-douzaine de longs métrages en un quart de siècle. Le nouveau marque son retour après le long silence qui a suivi son adaptation calamiteuse de Sur la route (2012) de Jack Kerouac. Il y renoue avec son engagement politique en évoquant la dictature militaire brésilienne du début des années 70 à travers l’arrestation du député du parti travailliste Rubens Paiva dont l’épouse s’est battue pendant toute sa vie pour connaître la vérité sur sa détention et sa disparition, ne serait-ce qu’en récupérant son cadavre. Un vain combat pour un travail de deuil impossible qui a porté cette femme déterminée jusqu’à son dernier souffle, alors qu’elle-même était en proie à une maladie neuro-dégénérative et ne pouvait plus communiquer avec son entourage. Je suis toujours là applique les codes du film familial à une tragédie qui va contribuer à renforcer son unité en donnant au père le statut d’un commandeur, même une fois absent. Ce qui commence comme une chronique familiale d’une bourgeoisie plutôt intellectuelle se poursuit comme un pamphlet engagé contre un pouvoir qui croit pouvoir agir en toute impunité mais trouve sur sa route des trublions bien peu déterminés à se soumettre, qui plus est en silence.



Fernanda Torres



Walter Salles adopte le point de vue de cette épouse fidèle et tenace qui va consacrer son existence à faire éclater la vérité et à entretenir la flamme de ce disparu oublié de presque tous qui incarne la résistance autant que la résilience. Cette mère courage qui n’existe que par et pour sa famille veille en outre à lui transmettre son esprit de révolte et sa soif de justice. Un rôle écrasant dont le cinéaste confie la responsabilité sur une période d’un quart de siècle à l’éblouissante Fernanda Torres, qui obtint à 19 ans le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 1986, puis le temps d’une scène bouleversante à Fernanda Montenegro, 95 ans, sa propre mère, qui fut naguère primée à Berlin quant à elle pour sa composition inoubliable dans Central do Brasil (1998). Au-delà de son message politique vibrant dont la portée s’avère universelle, en nous rappelant combien la démocratie reste un système encore fragile dans toute l’Amérique latine, le film de Walter Salles s’impose comme un portrait de femme magistral sur fond de fidélité et d’amour fou. En souhaitant que le prix du meilleur scénario qu’a obtenu ce film engagé à la Mostra de Venise incite le réalisateur brésilien à accélérer la cadence. Son talent demeuré intact ne demande qu’à s’exercer sur des sujets audacieux. Et l’histoire récente de son pays n’en manque pas vraiment. Le titre de son dernier film, Je suis toujours là, résonne d’ailleurs comme un cri du cœur et a déjà connu le retentissement qu’il méritait au Brésil.

Jean-Philippe Guerand








Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...