Film français de Laura Piani (2024), avec Camille Rutherford, Pablo Pauly, Charlie Anson, Annabelle Lengronne, Liz Crowther, Alan Fairbarn, Lola Peploe, Alice Butaud, Roman Angel, Frederick Wiseman, Pierre-François Garel… 1h34. Sortie le 22 janvier 2025.
La comédie sentimentale est désormais un genre à part entière qui répond à des règles précises et suscite nettement plus d’échecs que de réussites. Le titre du premier film de Laura Piani a le mérite d’annoncer la couleur en se référant à ces perles du cinéma britannique qui faisaient florès il y a une vingtaine d’années en conviant des transfuges de la Royal Shakespeare Company au chevet de classiques de la littérature victorienne ou de bluettes plus modernes, de Quatre mariages et un enterrement (1994) à la saga de Bridget Jones dont le nouvel opus sera bientôt à l’affiche. Jane Austen a gâché ma vie a la bonne idée de se réclamer de ces films en les mettant en quelque sorte en perspective avec autant d’amour que d’humour. Son héroïne est une employée de la librairie parisienne Shakespeare & Company (où a travaillé la réalisatrice), le comble du chic pour les connaisseurs et les touristes, qui se targue de passer à l’acte pour devenir romancière. Invitée grâce à la complicité d’un collègue bienveillant à séjourner dans une résidence d’auteurs nichée dans un havre de paix verdoyant, elle va trouver un nouveau sens imprévu à sa vie… Laura Piani respecte les codes du cinéma dont elle se réclame en multipliant les signes de reconnaissance à l’usage des connaisseurs pour signer un film “à la manière de” tourné pour l’essentiel en France malgré les apparences et auréolé par la présence d’une comédienne merveilleuse : Camille Rutherford, elle-même franco-britannique qui s’est fait remarquer en prêtant sa voix à la limousine de Holy Motors (2012) de Leos Carax. Elle trouve ici constamment le ton juste sur la corde raide des sentiments et endosse les névroses de son personnage avec une grâce rare.
Camille Rutherford et Charlie Anson
Laura Piani a le bon goût de ne jamais se montrer dupe de l’histoire qu’elle raconte. Plutôt que de s’en démarquer ou d’œuvrer dans le pastiche, elle en respecte les codes à la lettre, mais s’efforce de les concilier avec une certaine idée de la femme d’aujourd’hui. Son personnage principal semble sortie d’un film de Woody Allen par ses maladresses et une certaine propension à se dérober devant ses responsabilités. Au point qu’elle feint d’ignorer les véritables sentiments de son meilleur ami (campé par le toujours juste Pablo Pauly) et a une fâcheuse tendance à assimiler les gens qu’elle croise à des archétypes, du couple pittoresque d’hôtes anglais qui l’accueille à un lointain descendant de Jane Austen : Charlie Anson dont le mimétisme avec Hugh Grant est désopilant. Malgré un sujet propice aux clichés, la réalisatrice qui connaît ses classiques réussit à se les réapproprier pour en tirer des variations souvent irrésistibles et aller au bout de son rêve sans jamais bouder son plaisir. L’illusion est parfaite et permet au film d’imposer son charme sans céder pour autant aux pièges du pastiche ou de la satire, mais avec une subtile prise en compte des enseignements de la psychanalyse. C’est parce qu’elle croit à son sujet que Laura Piani réussit à concilier sa passion personnelle pour ce genre avec un habile recyclage de ses conventions et surtout un formidable portrait de femme d’aujourd’hui, toujours sur le qui-vive et si méfiante vis-à-vis de ses propres sentiments que l’engagement devient pour elle une épreuve insurmontable. Un peu comme si le fossé creusé par #MeToo était devenu un obstacle à la spontanéité de l’amour.
Jean-Philippe Guerand
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