Film français de Louise Courvoisier (2024), avec Clément Faveau, Maïwène Barthelemy, Luna Garret, Mathis Bernard, Dimitry Baudry, Armand Sancey Richard, Lucas Marillier, Isabelle Courajeot… 1h30. Sortie le 11 décembre 2024.
Clément Faveau (au centre)
« Vingt dieux ! » Tel est le cri du cœur de Totone quand il n’a plus d’autres mots pour exprimer son étonnement, sa colère ou son enthousiasme. Alors quand ce coq de village consommateur de bière et adepte des petits bals populaires se voit contraint de s’occuper de sa petite sœur, c’est comme si le Jura lui tombait sur la tête. Faute de trouver un emploi digne de ce nom et en l’absence de compétences clairement définies, ce glandeur professionnel se lance dans une véritable croisade en se mettant en tête de confectionner le meilleur comté de la région. Avec à la clé un véritable pactole s’il parvient à remporter le concours agricole régional dans cette discipline dont il ne maîtrise pas le moindre secret de fabrication. La fraîcheur de Vingt dieux réside dans le sens de l’observation aiguisé de sa réalisatrice qui ne se met jamais en surplomb de ses personnages afin de préserver ce que leurs interprètes possèdent de plus précieux : un naturel à toute épreuve. Un miracle qui doit autant à la pertinence du casting qu’à l’exploitation des caractéristiques innées de ces individus bruts de décoffrage comme on en croise de plus en plus rarement à l’écran d’où les accents et l’argot ont peu à peu été évacués, à quelques exceptions près dont Les pires (2022) de Lise Akoka et Romane Gueret qui appartient à la même famille que le premier long métrage de Louise Courvoisier. Parce que leurs interprètes assument et revendiquent leur diction parfois déconcertante sans se laisser conditionner par les règles aseptisées qui font que le cinéma exige que tout le monde s’exprime de la même façon pour être compris par le plus grand nombre. Comme dans une opération de standardisation massive que contredit ici l’affiche sur laquelle notre héros arbore une cigarette politiquement très incorrecte qui reflète son anticonformisme naturel.
Clément Faveau et Maïwène Barthelemy
Pour son premier film, couronné notamment du prix Jean Vigo et du prix de la jeunesse à Cannes qui soulignent sa fraîcheur, Julie Courvoisier a choisi le registre de la comédie de caractères sur un argument qui assume sa singularité et un cadre rarement représenté à l’écran où le temps semble parfois s’être arrêté. Elle procède à petites touches et avec une tendresse communicative pour ses personnages à la poursuite d’un rêve trop grand pour eux qui va toutefois avoir l’insigne mérite de les faire grandir. La justesse du casting est l’un des atouts majeurs de ce conte souvent désopilant dans lequel rien ne semble fabriqué et où le bon sens apparaît toujours comme le recours ultime. Difficile de résister à la gouaille naturelle de Clément Faveau, à mi-chemin entre le Jean-Pierre Léaud révolté des Quatre cents coups et certains adolescents glandeurs des films de Bruno Dumont, avec en contre-point le bon sens malicieux de la petite Luna Garret. Cet éloge du système D est un pur délice. Et puis, il y a cette scène de séduction déjà d’anthologie entre le petit macho et sa conquête bien déterminée à jouir (la surprenante Maïwène Barthelemy) qui apparaît comme une tentative de réécriture du nouveau désordre amoureux où les partenaires sont pour une fois à égalité. Une séquence savoureuse et éloquente qui reflète aussi le talent de la réalisatrice lorsqu’il s’agit de faire jaillir une spontanéité miraculeuse de ses interprètes en exploitant leur caractère. Vingt dieux ! Ce film est une pure merveille qui renvoie au regretté Jean Eustache et notamment à Mes petites amoureuses. À un demi-siècle de distance, rien n’a vraiment changé.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire