Accéder au contenu principal

“Tout ira bien” de Ray Yeung




All Shall Be Well Film hong-kongo-chinois de Ray Yeung (2024), avec Patra Au, Maggie Li, Tai-Bo, Chung-Hang Leung, So-ying Hui, Fish Liew, Rachel Leung… 1h33. Sortie le 1er janvier 2025.



Patra Au



En couple depuis une trentaine d’années à Hong Kong, Pat et Angie forment un couple harmonieux dont le bonheur irradie parmi leur entourage festif et convivial dont elles constituent le point de ralliement le plus fiable. Jusqu’au jour où la disparition de l’une d’elles plonge la survivante dans une profonde détresse que ne fait qu’accentuer sa subite précarité matérielle. D’une romance interrompue, Ray Yeung tire une réflexion sur la situation à laquelle s’exposent les couples homosexuels de la Péninsule lorsque l’un des partenaires se retrouve seul et dans l’incapacité légale de bénéficier de la retraite de son partenaire, face à une belle-famille dont le regard n’est plus tout à fait le même. Derrière son titre qu’on peut interpréter comme rassurant ou ironique, Tout ira bien dresse l’état des lieux d’une société écartelée entre une tradition chinoise plutôt homophobe et une modernité en trompe-l’œil héritée de son passé récent de concession britannique. Le couple formé par Pat et Angie date de cette époque révolue et n’a sans doute pas vu évoluer la société qui l’entoure et revenir à un certain conservatisme où la communauté LGBTQ est considérée comme une anomalie, sans être réprimée pour autant. Du coup, le monde d’après implique une grande solitude et une certaine marginalisation de fait due à l’éloignement de la famille de la défunte, sous prétexte de protéger sa mémoire des ragots concernant ses mœurs qui pourraient rejaillir sur sa réputation. Un propos qui renvoie aussi plus largement au statut de Hong Kong par rapport au reste de la Chine.



Patra Au



Tout ira bien s’impose par sa douceur et sa retenue comme un constat terrible de ce que la société peut parfois infliger à l’individu par son manque de réalisme et une conception purement comptable de certaines situations. Cette histoire d’amour interrompue qui pourrait donner lieu au plus convenu des mélodrames, Ray Yeung la traite avec une empathie qui lui donne toute sa grandeur. Cet inconditionnel d'Ang Lee, et notamment de Garçon d’honneur (1993), prend le temps de montrer la complicité et l’insouciance de ce couple fusionnel de femmes joyeuses pour mieux décrire ensuite la façon dont cette harmonie vient à se briser post mortem, à travers le regard d’un entourage guidé par sa mesquinerie et des préjugés d’un autre âge. Par ailleurs président du plus ancien festival gay et lesbien asiatique, le réalisateur s’en remet pour cela dans son quatrième long métrage à deux comédiennes qui ne font qu’une avec leur rôle : Patra Au et Maggie Li. C’est à travers leur couple fusionnel et insouciant brisé par les dures lois de la réalité que le film soulève un phénomène de société qui provoque régulièrement des drames, faute d’une succession solidement préparée. Dès lors, les masques tombent et mettent en évidence l’inadaptation d’une société qui a encore du mal à assumer ses différences et à accorder des droits équivalents à tous les citoyens, quels que soient leurs mœurs et leurs orientations sexuelles. Un message salutaire et même nécessaire qui passe ici par de fortes bouffées d’émotion, mais sans l’ombre d’un prêchi-prêcha moralisateur.

Jean-Philippe Guerand





Maggie Li et Patra Au

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...