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“Quiet Life” d’Alexandros Avranas



Film franco-gréco-estono-suédo-germano-finlandais d’Alexandros Avranas (2024), avec Chulpan Khamatova, Grigoriy Dobrygin, Naomi Lamp, Miroslava Pashutina, Eleni Roussinou, Lisa Loven Kongsli, Johannes Kuhnke, Anna Bjelkerud, Frans Isotalo, Sofia Pekkari, Kristjan üksküla, Lena Endre… 1h39. Sortie le 1er janvier 2025.



Grigoriy Dobrygin, Naomi Lamp,

Miroslava Pashutina et Chulpan Khamatova



La scène d’ouverture de ce film est exemplaire par le dispositif qu’elle met en place. Dans un appartement aux tons pastel pourvu des principaux accessoires du confort moderne et meublé de façon spartiate mais fonctionnelle, une famille russe en instance de droit d’asile en Suède reçoit au domicile qu’on a mis à sa disposition une délégation chargée d’établir un rapport administratif sur ses conditions de vie au quotidien, sous prétexte de s’assurer de son bien-être et d’estimer ses besoins. Plus tard, ce couple et ses deux filles se voient convoqués pour un interrogatoire dénué de bienveillance, afin de vérifier la légitimité de leur demande de naturalisation et leur détermination à devenir des citoyens modèles dans leur pays d’adoption après avoir enduré des sévices et des humiliations. Avec pour hantise la perspective d’un retour contraint en Russie et les mesures de rétorsion qu’il entraînerait fatalement. Le temps de deux séquences mises en scène au cordeau, Alexandros Avranas imprime à cette chronique clinique de l’intégration dans un pays scandinave un caractère de déshumanisation où les modalités administratives se substituent à la compassion et à la main tendue. Les migrants sont renvoyés purement et simplement à leur condition et niés en tant qu’individus en quête d’une terre d’accueil. La mise en scène s’articule sur le contraste saisissant qui oppose à ces décors impersonnels mais impeccables des êtres priés de faire abstraction de leurs états d’âme pour se plier aux règles administratives imposées par leurs hôtes. Dans ce paradis illusoire pavé de mauvaises intentions, rien ne doit dépasser et les migrants sont priés de se fondre dans la masse, sans rien trahir de leurs états d’âme, quelle que soit la tragédie personnelle qui les a menés jusque-là.



Naomi Lamp, Grigoriy Dobrygin,

Chulpan Khamatova et Miroslava Pashutina



Ce film situé en 2018 décrit de façon détaillée le processus fastidieux qui permet aux migrants de se faire accepter dans leur nouveau pays d’adoption et évoque par sa rhétorique la confrontation finale de L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine et ce fameux entretien administratif destiné à jauger des motivations des candidats à la naturalisation en les contraignant à démontrer qu’ils se trouvent en état d’urgence. Avec ici les dégâts collatéraux qu’entraîne cette situation chez les enfants, non seulement coupés de leurs racines mais aussi victimes d’une suspicion angoissante, alors même qu’ils ne maîtrisent sans doute qu’approximativement les tenants et les aboutissants qui ont incité leurs parents à quitter leur pays pour un autre dont ils ne maîtrisent même pas la langue. Au point de manifester des troubles psychologiques jusqu’alors inconnus désignés sous le titre de “syndrome de résignation” qui se caractérise par un repli sur soi progressif et à bien des égards irréversible, puis un coma profond dans une sorte de réflexe d’auto-défense désespéré. Ce sujet de société authentique, le réalisateur Alexandros Avranas en a découvert l’existence dans un article du “New Yorker” et en a tiré un constat cinématographique glaçant qui décrit méthodiquement ce processus et ses conséquences dont un mutisme pathologique terrifiant. Un propos servi à la fois par la rigueur des cadrages, des mouvements de caméra réduits à leur plus simple expression et le jeu tout en retenue des interprètes qui confèrent à ce parcours du combattant des allures de calvaire dans un univers oppressant d’où les couleurs vives ont été effacées.

Jean-Philippe Guerand








Chulpan Khamatova, Grigoriy Dobrygin,

Naomi Lamp et Miroslava Pashutina

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