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“Oh, Canada” de Paul Schrader



Film américain de Paul Schrader (2024), avec Richard Gere, Uma Thurman, Jacob Elordi, Kristine Freseth, Michael Imperioli, Gregory Connors, Caroline Dhavernas, Penelope Mitchell, Victoria Hill, Aaron Roman Weiner, Cornelia Guest, Dylan Flashner, Ryan Woodle, John Way, Gary Hilborn… 1h35. Sortie le 18 décembre 2024.



Richard Gere et Uma Thurman



Revenu à son meilleur depuis quelques années, Paul Schrader retrouve aujourd’hui un acteur dont il a contribué à faire une star, Richard Gere, l’inoubliable interprète d’American Gigolo (1980). Celui-ci incarne un ancien activiste américain réfugié au Canada pour échapper à la conscription au Vietnam qui relate son itinéraire cahotique au seuil de la mort et comment il est devenu un documentariste de renom au hasard des circonstances, quitte à sacrifier pour cela ses rêves de jeunesse. Oh, Canada est un film à tiroirs sur les illusions perdues soixante-huitardes dans lequel c’est à Jacob Elordi révélé par Sofia Coppola avec Priscilla dans le rôle d’Elvis Presley, que revient la tâche redoutable de camper ce personnage pendant sa jeunesse militante. Le film s’inspire d’un roman de Russell Banks, écrivain connu des cinéphiles pour l’adaptation magistrale qu’a tiré naguère Atom Egoyan de De beaux lendemains (1997) et dont son ami Paul Schrader avait tiré la même année l’un de ses films les plus poignants, Affliction. C’est la chronique mélancolique d’une génération contrainte à l’exil par son pacifisme qui s’est vue ainsi privée de se battre pour ses idées, sous peine de refuser de prendre les armes dans l’un des derniers sursauts colonialistes de la Guerre Froide. Un désenchantement que le cinéaste partage avec celui de l’écrivain qu’il adapte et l’ex-objecteur de conscience dont il dépeint l’itinéraire tortueux sans la moindre complaisance. Comme un aveu d’échec.



Richard Gere



Derrière son titre aux intonations de complainte, Oh, Canada nous livre une réflexion terriblement désenchantée sur le mirage de l’idéalisme et l’utopie brisée de ces activistes qui ont cru possible d’empêcher le monde occidental de courir à sa perte, au moment où les illusions de toute une génération sont venues se fracasser contre l’engagement américain au Vietnam et une recrudescence des assassinats politiques. Pour avoir appartenu à cette génération (il est né en 1946), Schrader s’identifie totalement aux illusions perdues de ce personnage fauché dans son élan que les circonstances ont contraint à revoir ses ambitions idéalistes en franchissant la frontière du Nord pour pouvoir continuer à faire entendre sa voix. Quitte à prêcher dans le désert. Le film n’est pourtant ni amer ni revanchard. Il met juste ses rêves brisés en perspective pour les faire résonner avec notre époque. Un propos audacieux qui a parfois des allures testamentaires de la part d’un cinéaste éprouvé par la pandémie de Covid-19 qui travaille déjà à son prochain opus, Non Compos Mentis. Littéralement “Je ne contrôle pas mon esprit”. Tout le contraire d’un réalisateur remis sur les rails avec Sur le chemin de la rédemption (2017), qui lui a valu sa première nomination à l’Oscar (du meilleur scénario original), et bien déterminé depuis à rattraper le temps perdu en renouant avec l’inspiration de ses débuts. C’est tout le mal qu’on lui souhaite !

Jean-Philippe Guerand






Jacob Elordi

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