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“My Sunshine” d’Hiroshi Okuyama



Boku No Ohisama Film franco-japonais d’Hiroshi Okuyama (2024), avec Sôsuke Ikematsu, Keitatsu Koshiyama, Kiara Takanashi, Ryûka Wakaba, Maho Yamada, Yunho… 1h30. Sortie le 25 décembre 2024.



Kiara Takanashi et Keitatsu Koshiyama



Les préjugés ont souvent la peau dure. Au Japon, la tradition veut que les garçons pratiquent le hockey sur glace, tandis que les filles se consacrent plutôt au patinage artistique. Lorsqu’un hiver sur l’île d’Hokkaidō, Takuya tombe sous le charme de Sakura, tout juste arrivée de Tokyo, le coach de celui-ci accepte de les entraîner en duo, en misant sur leur complicité en laquelle il se projette. Un sujet tout simple pour un film touchant qui évolue au rythme des saisons. Associé avec Hirokazu Kore-eda sur la série “Makanai : dans la cuisine des maiko” (2023), diffusée sur Netflix, Hiroshi Okuyama s’était déjà fait remarquer avec son premier long métrage, Jésus, dans lequel il s’inspirait de certains souvenirs d’enfance. C’est aussi le cas dans My Sunshine qui a été présenté dans la section Un certain regard du dernier Festival de Cannes. Il s’agit pour le réalisateur d’une sorte d’exorcisme nostalgique qui se souvient avoir été raillé par ses camarades à l’école primaire et se projette dans son jeune protagoniste atteint de bégaiement. Cette chronique d’apprentissage où l’effort n’est jamais décrit comme un processus douloureux dresse en cela un portrait très juste de l’enfance, sans occulter pour autant ses élans de cruauté, sur fond de dépassement sportif et d’harmonie, à travers les rapports fusionnels qui s’instaurent entre l’entraîneur et ses deux élèves. Le tout à travers une mise en scène d’une grande douceur qui échappe à tous les stéréotypes en vigueur dans le cinéma occidental, notamment à travers la thématique si conventionnelle du dépassement de soi. Il est moins question ici d’exploit que de complicité. Avec en filigrane une réflexion très subtile sur le tabou de l’homosexualité, encore vif au Japon.



Kiara Takanashi



Parmi les références cinématographiques qu’invoque Hiroshi Okuyama figure en très bonne place un court métrage français, Le ballon rouge (1956) d’Albert Lamorisse dont un autre réalisateur asiatique, le Taïwanais Hou Hsiao-hsien, a tiré un remake sous le titre Le voyage du ballon rouge (2008). My Sunshine ne s’en réclame que pour une caractéristique fondamentale : la primauté accordée à l’image par rapport au dialogue par un réalisateur qui est aussi scénariste, chef opérateur et monteur. Un cumul des mandats qui lui assure une maîtrise totale de son film et lui permet de s’adapter en permanence aux circonstances, dans la mesure où il mise pour une bonne part sur l’improvisation de ses interprètes pour faire évoluer son scénario. C’est sans doute cette méthode qui confère à My Sunshine sa fraîcheur et aussi son éclat. On y perçoit en outre la fascination du garçon pour sa partenaire à travers ce rituel codé que constitue la danse sur glace, discipline aussi artistique que sportive qui repose avant tout sur une complicité impeccable et la protection d’un entraîneur qui se projette sur ses petits protégés trop timides pour assumer leurs sentiments. D’où ce parti pris de mise en scène qui consiste à situer symboliquement cette progression vers l’excellence le temps d’un hiver, de la première neige au dégel. Une métaphore saisonnière qui confère à ce film une douceur rassurante en entraînant le spectateur dans un véritable cocon réconfortant qui va de pair avec une stylisation esthétique et chromatique immaculée comme on n'en rencontre qu’assez rarement dans le cinéma japonais contemporain, davantage enclin au bruit et à la fureur en écho aux fracas du monde.

Jean-Philippe Guerand





Sôsuke Ikematsu, Keitatsu Koshiyama et Kiara Takanashi

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