The Six Triple Eight Film américain de Tyler Perry (2024), avec Kerry Washington, Ebony Obsidian, Milauna Jackson, Oprah Winfrey, Kylie Jefferson, Pepi Sonuga, Sarah Jeffery, Susan Sarandon, Sam Waterston, Jay Reeves, Jeante Godlock, Moriah Brown, Gregg Sulkin, Dean Norris, Shanice Shantay, Lyne Odums… 2h07. Mise en ligne sur Netflix le 20 décembre 2024.
Moriah Brown et Kerry Washington
Les communautés longtemps ignorées ou reléguées à des rôles subalternes prennent aujourd’hui une revanche méritée, laquelle s’apparente parfois à une relecture pure et simple de l’histoire dont on sait qu’elle est écrite trop souvent par les vainqueurs, c’est-à-dire en fait celles et ceux qui maîtrisent le mieux les moyens de communication voire de propagande. Messagères de guerre s’inscrit à ce titre à l’intersection de deux mouvements conjugués : celui qui consiste à rendre son honneur à la communauté afro-américaine et celui qui revient à célébrer le combat des femmes américaines, le tout dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale à travers le bataillon 6888 trop longtemps occulté des manuels scolaires. Cette unité constituée exclusivement de femmes de couleur s’est vue assigner une mission très particulière : trier le courrier expédié entre l’arrière et le front, demeuré en déshérence dans des hangars écossais pendant des mois, faute de pouvoir localiser les mouvements de troupe sur le front européen voire d’identifier les correspondants. Une absence de communication d’autant plus dramatique qu’elle a impacté le moral des combattants comme celui de leurs familles restées sans nouvelles et plongées dans l’incertitude quant à leur sort. Il a fallu la détermination et la persévérance d’Eleanor Roosevelt pour inciter son Président de mari à dépêcher un bataillon en Europe afin d’exécuter cette tâche administrative ingrate mais déterminante. Une facette ignorée de l’engagement américain qui n’a été célébrée que tardivement à sa juste valeur, la personnalité de la capitaine Charity Adams, à la tête de ces troupes, n’ayant elle-même été honorée pour son action décisive qu’en… 2023.
Shanice Shantay, Pepi Sonuga,
Sarah Jeffery et Ebony Obsidian
Messagères de guerre rend un vibrant hommage à ces engagées volontaires chargées de deux handicaps aux yeux de l’armée américaine par leur statut de femmes de couleur qui aurait dû les assigner comme ouvrières à la chaîne dans les usines désertées par les hommes. Considéré comme la personnalité du spectacle la plus riche du monde avec le fantaisiste Jerry Seinfeld, l’acteur, producteur, auteur et réalisateur Tyler Perry est indissociable du personnage de Madea, une vieille dame acariâtre devenue son égérie à travers des spectacles, des films et des téléfilms pour l’essentiel inédits en France. Son nouvel opus s’inscrit quant à lui dans la lignée de ces réhabilitations mémorielles tardives dont fait également partie Les figures de l’ombre (2016) qui évoquait le rôle crucial joué par les mathématiciennes afro-américaines de la Nasa. Le scénario inspiré d’un article paru dans la revue “WWII History Magazine” et précédé par le documentaire de James Theres The SixTripleEight (2019) joue la carte du romanesque assumé en s’attachant plus particulièrement à la personnalité de Lena Derriecott King, une jeune femme promise à un fils de famille juif qui reste hantée par sa mémoire. Son adaptation trouve un juste équilibre entre la célébration de ces femmes oubliées, à travers les vexations et les humiliations qu’elles ont subies, leur solidarité à toute épreuve, mais aussi leurs divisions ponctuelles. Avec en prime l’accomplissement de la mission impossible qui leur a été confiée et qu’elles vont remplir dans le laps de temps limité qui leur a été imparti, en usant de ruses parfois inattendues, grâce aux compétences multiples des unes et des autres et en dépit de la mauvaise volonté des officiers supérieurs racistes dont elles dépendent : acheminer à leurs destinataires pas moins de dix-sept millions de lettres en souffrance. Ce film rondement mené et très bien interprété, mais toutefois réalisé par un homme, s’avère aussi plaisant qu’édifiant, en levant un coin du voile sur une facette occultée de la grande histoire.
Jean-Philippe Guerand
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