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“Marmaille” de Grégory Lucilly



Marmay’ Film français de Grégory Lucilly (2024), avec Maxime Calicharane, Brillana Domitile Clain, Vincent Vermignon, Délixia Perrine, Grazellia Estagie, Camille Bessière-Mithra, Malick Fruteau de Laclos, Lolita Tergemina, Katiana Castelnau, Antony Mela, Yaëlle Trules, Yohann Devillers, Leroy Chevalier… 1h32. Sortie le 4 décembre 2024.



Maxime Calicharane et Brillana Domitile Clain



Voici l’acte fondateur du cinéma réunionnais, ce bout de France perdu au fin fond de l’Océan indien et entrevu naguère dans La sirène du Mississipi (1969) de François Truffaut. Marmaille apparaît en effet comme le premier film conçu et tourné sur cette île volcanique du bout du monde, comme le fut en son temps Rue Cases Nègres (1983) d’Euzhan Palcy pour la Martinique. L’histoire est celle d’un lycéen de 15 ans qui rêve de gagner un concours de breakdance mais se retrouve à la rue avec sa sœur aînée quand le nouveau compagnon de sa mère les chasse de chez eux. Dès lors, les adolescents se retrouvent chez leur père qui les a abandonnés, mais a fondé depuis une nouvelle famille. Ils vont devoir à vivre ensemble et à s’apprivoiser dans un contexte plutôt difficile où les non-dits ne demandent qu’à s’exprimer à tout moment. Sur un thème qui aurait pu donner lieu à un drame naturaliste, Grégory Lucilly veut croire en l’espoir et traite ce sujet en évitant le pathos et le misérabilisme. Par-delà le cercle de ses protagonistes, iI décrit une société rongée par la misère où la volonté de s’en sortir engendre une solidarité toute relative, mais dont le noyau dur, la famille, voit ses structures mêmes menacées. Ce film parlé en créole réunionnais témoigne de cette déréliction dévastatrice par ses mouvements incessants qui reflètent l’instabilité et l’énergie de ses personnages. Il prend aussi soin de dynamiter les codes du mélo et les pièges de l’exotisme dès qu’ils affleurent. C’est aussi un hymne à la jeunesse à travers sa description de l’irresponsabilité des adultes qui contraint leurs enfants à assumer leurs responsabilités par anticipation, quitte à y sacrifier une partie de leurs rêves. Marmaille constitue en cela un témoignage passionnant sur cette société réunionnaise tiraillée entre des traditions d’un autre âge et une irruption subie des mœurs occidentales.



Maxime Calicharane, Vincent Vermignon

et Brillana Domitile Clain



Le point de départ du premier long métrage de Grégory Lucilly s’appuie sur un phénomène de société préoccupant : l’abandon par les mères de leurs enfants. Un tabou devenu une véritable gangrène sur lequel s’appuie le film qui n’en devient jamais défaitiste ni misérabiliste pour autant, grâce à cette lueur d’espoir qu’il entretient : ce fameux concours de breakdance qui donne un sens à la vie en miettes de son jeune héros à travers cette discipline physique devenue pour lui le suprême exutoire. Marmaille n’est pourtant jamais ni pittoresque ni folklorique. C’est une étude de mœurs qui dresse l’état des lieux d’un territoire souvent utilisé comme lieu de tournage paradisiaque par des productions étrangères, mais jamais véritablement considéré en tant que tel. L’émotion naît ici du contraste saisissant qui s’établit entre la détresse des jeunes protagonistes et l’espoir ténu (mais pas illusoire) auquel ils se raccrochent, tout en se voyant renvoyés inlassablement à des figures parentales plutôt défaillantes. Il convient de louer ici la qualité de l’interprétation et d’y associer un casting d’une justesse exemplaire. Pour avoir œuvré comme travailleur social, le réalisateur s’est appuyé sur une vision très limpide de ses personnages qui l’a conduit à effectuer des choix particulièrement pertinents, sans jamais verser dans l’excès ou la caricature. Et même si son film ménage quelques moments poignants, son émotion n’est jamais fabriquée. Sa maîtrise augure pour son réalisateur d’un avenir prometteur, si toutefois il réussit à rester fidèle à sa fraîcheur et à sa retenue. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

Jean-Philippe Guerand





Maxime Calicharane

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