Myrskyluodon Maija Film finlandais de Tiina Lymi (2024), avec Amanda Jansson, Linus Troedsson, Jonna Järnefelt, Tobias Zilliacus, Amanda Kilpeläinen Arvidsson, Tony Doyle, Desmond Eastwood… 2h44. Sortie le 1er janvier 2025.
Amanda Jansson
Le cinéma européen a perdu le goût des fresques. Sans doute parce que la télévision s’en est emparée pour en extraire des séries à rallonge. Maja, une épopée finlandaise constitue en cela une exception venue de Scandinavie qui nous plonge dans un univers lointain et pourtant assez proche, mais coupé du reste du monde par son climat éprouvant. C’est là, sur un îlot isolé, qu’une femme mariée à un pêcheur va découvrir le goût de la liberté et l’inculquer à ses enfants, à l’écart des normes en vigueur dans la société civile du XIXe siècle. La réalisatrice Tiina Lymi a puisé l’inspiration de cette superproduction tournée en trois langues dans les îles Åland parmi un cycle romanesque publié par sa compatriote Anni Blomqvist dans les années 60. Son film en représente en fait une sorte de synthèse composée de morceaux choisis qui pouvaient correspondre à son point de vue personnel et trouver un écho puissant dans la société contemporaine où le féminisme a dû devenir une cause officielle pour accéder à des droits élémentaires réservés aux hommes depuis la fin des temps par un patriarcat institutionnalisé. C’est la modernité anachronique de cette femme qui lui confère son caractère exceptionnel dans un cadre conjugal très atypique, même pour son époque, puisque les époux jouissent de la parité et élèvent leurs enfants dans cet esprit. Jusqu’au moment où un conflit lointain entraîne le débarquement dans leur paradis glacé d’une escouade de soldats étrangers qui représentent surtout une autre conception de la société et ne considèrent pour la plupart les femmes que comme des proies faciles sinon des prises de guerre destinées à assouvir leurs pulsions les plus primaires et à se soumettre à leur autorité de mâles.
Linus Troedsson et Amanda Jansson
Par la multiplicité et la richesse des thèmes qu’il brasse et embrasse, le film va donc bien au-delà de son souffle romanesque pour proposer une réflexion sur le fonctionnement même d’une société archaïque régie par le droit du plus fort. La romancière avait déjà envisagé cette saga avec un regard délibérément moderne que la cinéaste actualise encore à l’aune des mouvements de société les plus récents, sans pour autant sombrer dans le piège facile de l’anachronisme. Ce discours est sous-tendu par une figure centrale, le couple idyllique que forment Maja et Janne, puis leurs enfants qu’ils élèvent au sens propre comme au figuré pour en faire des sortes de modèles d’humanité. La modernité du personnage-titre cadre d’ailleurs tout à fait avec une sorte d’idéal féminin moderne par son désir d’indépendance et l’attachement viscéral qui la lie à la nature. Coupée du monde dit civilisé de son époque et encouragée par l’amour de son mari, elle s’émancipe avant l’heure en affirmant son caractère. Jusqu’à la construction symbolique d’une goëlette porteuse de symboles forts dont la possibilité pratique de partir à la découverte du monde comme dans un classique de la littérature mondiale auquel renvoie parfois l’espace dans lequel se déroule le film : “Robinson Crusoé” de Daniel Defoe, situé quant à lui au début du XVIIIe siècle à proximité des côtes vénézuéliennes. Maja, une épopée finlandaise s’inscrit davantage dans une tradition littéraire et cinématographique qui va des “Hauts de Hurlevent” d’Emily Brontë aux Deux Anglaises et le continent (1971) de François Truffaut par l’omniprésence de son personnage féminin dont la réalisatrice s’approprie le point de vue et une mise en scène intemporelle de l’amour fou qui s’abstrait à dessein de la moindre tentation de peinture sociale. C’est même ce détail essentiel qui lui confère à la fois sa singularité et son universalité.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire