Film français de Ludovic et Zoran Boukherma (2024), avec Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami, Gilles Lellouche, Ludivine Sagnier, Anouk Villemin, Louis Memmi, Christine Gautier, Anaïs Demoustier, Louise Lehry… 2h16. Sortie le 4 décembre 2024.
Gilles Lellouche et Paul Kircher
La Lorraine, Nicolas Mathieu est allé s’en imprégner pour écrire “Leurs enfants après eux”, son deuxième roman, couronné du prix Goncourt en 2018. Chronique de la désindustrialisation d’une communauté ouvrière frappée dans sa chair par des décisions venues d’“en haut”. Au fil des deux dernières décennies du deuxième millénaire, l’écrivain engagé racontait comment le contexte socio-économique en arrive parfois à broyer l’humain. Cette saga ambitieuse, Gilles Lellouche s’en est emparée avant de la confier aux jumeaux trentenaires Ludovic et Zoran Boukerma, nés à l’autre bout de la France, pour se consacrer lui-même à un projet qu’il portait depuis des années : L’amour ouf. L’ironie veut que ces deux films soient programmés à deux mois d’intervalle et qu’ils semblent se répondre par bien des aspects, ne serait-ce que leur cadre et leur époque. Arrêtons là la comparaison. Leurs enfants après eux s’inscrit dans la tradition de certains romans-feuilletons du XIXe siècle par sa façon de confronter ses personnages à leur époque en montrant comment la société les conditionne et les malmène. Ses deux protagonistes sont des adolescents des zones périurbaines qui empruntent des voies différentes. Des fils de prolétaires, comme on disait à l’époque. L’un d’eux fanfaronne sur la moto de son père et se la fait voler. Ainsi débute un conflit irrationnel qui ne va faire que s’envenimer et surfer sur le “Fatum”, ce fameux destin inéluctable qui pourrissait la vie de bien des héros des tragédies antiques.
Paul Kircher et Angelina Woreth
Le cadre de Leurs enfants après eux n’est pas le plus filmé par le cinéma. C’est celui de la fameuse vallée des anges qui affiche aujourd’hui encore les stigmates de sa splendeur passée avec ses rues dont toutes les maisons sont à vendre et ses vestiges industriels omniprésents. Ses protagonistes sont deux garçons livrés à eux-mêmes et passablement paumés que les circonstances vont opposer malgré eux, tandis que tout s’effondre autour d’eux. Anthony, c’est Paul Kircher, lauréat du prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir à Venise pour sa prestation bluffante, qui frise le sans-faute après les deux rôles qui l’ont imposé dans Le lycéen de Christophe Honoré et Le règne animal de Thomas Cailley. Face à lui, Sayyid El Alami incarne Hacine, son meilleur ennemi, cet enfant de la communauté maghrébine qui laisse son destin lui échapper. Comme Nicolas Mathieu, les frères Boukherma se gardent de juger ces deux garçons qu’ils montrent en proie à l’indifférence et contraints de survivre à tout prix. C’est la réussite du film qui se tient à distance des bons sentiments mais comporte tout de même deux rôles féminins déterminants qu’incarnent avec un panache indéniable Angelina Woreth et Ludivine Sagnier, bien que reléguées au second plan par une société machiste et même masculiniste où elles ne sont considérées qu’en tant que consolatrices ou repos des guerriers. C’est en respectant la réalité des mœurs, quitte à choquer rétrospectivement, que cette reconstitution scandée par les tubes de son époque souligne l’impact parfois dévastateur de la société sur l’individu. Et qu’importent les scories que charrie ce propos accusateur. Son message s’avère essentiel par la confusion qu’il a engendrée jusqu’à aujourd’hui.
Jean-Philippe Guerand
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