Film français de Victor Rodenbach (2024), avec William Lebghil, Vimala Pons, Jérémie Laheurte, Pauline Bayle, Julie Hega, Sarah Le Picard, Lucie Gallo, Salif Cissé, Timothée Robart, Alexandre Steiger, Antonia Buresi, Martine Chevallier, Bruno Podalydès, Xavier Lacaille, Pierre-Antoine Billon, Lionel Dray, Lou Tomasino, Marius Hulin… 1h24. Sortie le 18 décembre 2024.
William Lebghil et Xavier Lacaille
Henri et Nora se sont englués dans une routine professionnelle et sentimentale qui a peu à peu transformé leur passion en routine et a emprisonné leur couple dans des conventions de théâtre. C’est en décrochant son premier rôle significatif au cinéma au détriment du nouveau spectacle qu’ils préparaient que le comédien fait voler en éclats cet équilibre précaire et jette un profond doute chez sa compagne ainsi trahie aussi en tant que metteuse en scène. Pour son premier long métrage, Victor Rodenbach a choisi un canevas classique, en montrant la façon dont certains automatismes professionnels peuvent déteindre sur les relations humaines. Une schizophrénie périlleuse qui lui est d’autant plus familière qu’il a lui-même expérimenté au cours de son apprentissage personnel de scénariste le quotidien de celle dont il partage la vie, Pauline Bayle (qui joue d’ailleurs dans le film), scandée par la routine du théâtre, avec son lot de répétitions, de représentations et de tournées. Une réalité prosaïque qui émane des dialogues d’un film où tout sonne juste, mais où rien n’est jamais forcé. Judicieuse initiative que de confier le rôle de cette maîtresse du jeu à Vimala Pons qui s’est fait connaître à travers des spectacles qu’elle a mis en scène et interprétés, en brouillant les cartes et en revendiquant un mélange des genres souvent audacieux. Ce rôle de composition lui est donc assez familier et le scénario joue avec virtuosité des rapports faussés de ses deux protagonistes qui appliquent naïvement leur science du théâtre à leurs rapports de couple, quitte parfois à tout mélanger faute d’un recul suffisant.
Vimala Pons et William Lebghil
Victor Rodenbach mise en quelque sorte dans Le beau rôle sur une variation de réalité augmentée qui prive parfois ses protagonistes de leur spontanéité. On retrouve là un thème presque aussi vieux que le spectacle : celui d’Une étoile est née qui part du principe que deux egos ne peuvent pas vraiment cohabiter de façon harmonieuse et que la réussite de l’un fait nécessairement de l’ombre à la carrière de l’autre. Comme on l’affirme dans certains westerns et un fameux tube de Sparks, “This Town Ain’t Big Enough for Both of Us” (“Cette ville n'est pas assez grande pour nous deux”). Un cercle d’autant plus vicieux que toute rupture affective provoque un isolement d’autant plus inéluctable quand on vit d’abord dans le regard de l’autre en sollicitant sa bienveillance, avec cette ambiguïté qui consiste ici à tout confondre et à se laisser entraîner dans l’inconnu. Rares sont les films aussi justes consacrés à ces rapports si particuliers. Sans doute parce que la complicité qui unit Vimala Pons et William Lebghil s’impose d’emblée comme une évidence qui n’a besoin d’aucune preuve d’amour pour crever l’écran. S’instaure à la place une sorte de télépathie entre eux qui leur permet de se comprendre et de vibrer à l’unisson sans avoir besoin de trouver les mots pour le dire. La frontière s’efface peu à peu entre la comédie des sentiments et cette oasis protectrice que fabriquent l’art dramatique et ses artifices. À cette nuance près que les conséquences sont inoffensives quand on se réfugie dans l’imaginaire, là où elles s’avèrent au contraire incalculables dans la réalité. Le verbe jouer prend donc ici tout son sens au point de devenir le véritable moteur de ce film souvent brillant et à tout le moins très prometteur.
Jean-Philippe Guerand
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