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“Ernest Cole, photographe” de Raoul Peck



Ernest Cole : Lost and Found Documentaire américain de Raoul Peck (2024) 1h46. Sortie le 25 décembre 2024.





C’est en 2017, à la faveur de la découverte de soixante mille négatifs entreposés dans une banque suédoise, qu’a émergé un photographe sud-africain oublié qui avait pourtant connu une heure de gloire éphémère tout juste un demi-siècle plus tôt en publiant un album témoignant de l’Apartheid, “La maison des servitudes”. Âgé de seulement 27 ans, Ernest Cole avait alors choisi le chemin de l’exil, d’abord aux États-Unis, ensuite en Europe. Un destin d’éternel vagabond que retrace aujourd’hui le réalisateur haïtien Raoul Peck, en montrant à quel point il s’avère emblématique de son époque et des bouleversements qu’il a traversés. Jusqu’à sa mort prématurée à l’approche de son cinquantième anniversaire. Contrairement à Vivian Maier dont l’intégralité de l’œuvre a été découverte post mortem, Ernest Cole a connu une gloire éphémère avant de retomber dans l’oubli. Fidèle à une méthode qu’il a affinée au fil de son œuvre et tout particulièrement à travers ses documentaires, à l’instar de celui qu’il a consacré à l’écrivain américain James Baldwin, I Am Not Your Negro (2016), qui lui a valu le César du meilleur documentaire et une nomination à l’Oscar, Raoul Peck dresse un portrait du photographe à travers son œuvre donc son propre regard sur le monde. Un traitement de choc saisissant auquel l’effet retard confère une singulière valeur ajoutée. Comme si le temps avait contribué à en bonifier l’importance historique. Avec à la clé l’Œil d’or du meilleur documentaire remporté à Cannes qui n’a sans doute jamais mieux mérité son nom.





En quarante ans d’une carrière exemplaire consacrée à témoigner en explorant les zones d’ombre et les recoins les plus cachés de l’histoire douloureuse de la négritude, Peck s’est érigé come un citoyen du monde guidé par un idéal profondément humaniste. Originaire d’une terre de souffrance, Haïti, à laquelle il a consacré plusieurs films, il a souvent excellé dans la description de faits historiques peu représentés par le cinéma, qu’il s’agisse du destin du Congolais Patrice Lumumba auquel il a consacré un documentaire et un biopic, de l’antagonisme des hutu et des tutsi au Rwanda dans Quelques jours en avril (2005) ou du Jeune Karl Marx (2017). L’œuvre Ernest Cole lui donne l’occasion de montrer le monde à travers le regard d’un autre et les paroles de ceux qui l’ont connu sinon côtoyé. Cette enquête fouillée aboutit à un film-gigogne où le photographe s’exprime à travers la voix du réalisateur en personne dans un phénomène d’identification qui ne fait qu’accentuer sa puissance d’évocation. Comme pour mieux s’approprier son sujet. Au-delà de son destin chagrin, ses photos lui permettent de dresser le portrait d’une époque tiraillée entre les derniers feux de la décolonisation dont l’Afrique du Sud a incarné l’ultime bastion et la révolte de la jeunesse occidentale contre ses aînés. Peck partage enfin un point commun avec Cole à travers l’exil qui l’a sans doute rendu plus fort, là où le photographe l’a payé de sa vie en glissant vers la déchéance. Ce sont ces multiples facettes qu’explore le film en faisant sortir de l’ombre un artiste majeur trop longtemps ignoré.

Jean-Philippe Guerand






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