Eephus Film américain de Carson Lund (2022), avec Keith William Richards, Frederick Wiseman, Cliff Blake, Ray Hryb, Bill “Spaceman” Lee, Stephen Radochia, David Pridemore, Wayne Diamond, Keith Poulson, Theodore Bouloukos, Conner Marx, Jason Barber, Brendan Burt, Gregory Falatek, Kate Fischer… 1h38. Sortie le 1er janvier 2025.
Ce film constitue un authentique exploit technique et esthétique. Sous couvert d’appliquer la fameuse règle des trois unités à un match de base-ball opposant les vétérans d’une bourgade de la Nouvelle-Angleterre sur un terrain convoité par des spéculateurs immobiliers, il se déroule en temps réel entre chien et loup jusqu’à la tombée de la nuit, ce qui représente un défi artistique d’une incroyable audace. Ce n’est certes pas une raison suffisante en soi pour découvrir ce film au sujet toujours exotique pour un public français peu au fait des règles de ce sport, mais c’est un paramètre visuel qui contribue pour une large part à la fascination qu’il exerce. Bien peu de spectateurs risquent d’être sensibles à ce tour de force, mais il instaure une illusion rare en nous plongeant dans une atmosphère littéralement crépusculaire pour assister à un rituel aussi mystérieux que fascinatoire qui sert en fait de prétexte à des conversations entre camarades pendant les innombrables périodes où chacun des joueurs attend son tour pour accomplir son devoir, comme un instrumentiste au sein d’un orchestre symphonique. Originaire lui-même du New Hampshire, Carson Lund a pris conscience du rôle crucial qui est celui du réalisateur en visionnant des classiques, avant de renoncer à un avenir programmé de joueur de base-ball professionnel pour s’orienter vers le cinéma. Il concilie ses deux passions dans son premier long métrage avec une œuvre fondamentalement atypique qu’il traite sur un mode contemplatif assumé. Il s’inspire en outre pour dépeindre les relations de ses protagonistes des rapports qu’il a développés personnellement avec ses coéquipiers à partir de ce lien ténu que constitue l’engagement inhérent aux sports collectifs.
Le base-ball ne constitue ici qu’un contexte, jamais un véritable enjeu, contrairement à cette tradition des films mettant en scène le sport où le résultat final constitue une sorte d’aboutissement dramatique et instaure un suspens plus ou moins artificiel. Rien de tout cela ici. Inutile de connaître les règles pour goûter ce match dont l’enjeu apparaît assez rapidement comme un simple prétexte à tout un tissu de relations humaines compliquées qui s’établissent entre des joueurs liés par leur esprit d’équipe et pour qui la victoire n'est qu’un bonus, mais en aucun cas une fin en soi. Au point que l’évolution du score devient en quelque sorte une sorte de compte à rebours inversé. C’est là où intervient la finesse de Carson Lund, lui-même chef opérateur dont on a pu admirer récemment l’expertise dans ce domaine sur Noël à Miller’s Point de Tyler Taormina, crédité pour sa part ici en tant que producteur au sein du collectif Omnes Films qui tente de donner un nouvel élan au cinéma indépendant américain contemporain en imposant ses propres codes. L’importance de l’étalonnage au terme de ce processus s’est avérée déterminante car c’est lui qui a rendu palpable ce lent passage du jour à la nuit. Situé dans les années 90 dans un lieu où le temps semble s’être arrêté, Eephus, le dernier tour de piste évoque le cinéma de Robert Altman par son esprit, sa liberté assumée et une certaine mélancolie collective. Avec en prime un délicieux “cameo” du grand Frederick Wiseman, lui-même adepte des odyssées documentaires au long cours en prise avec le réel.
Jean-Philippe Guerand
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