Film français de Claire Bonnefoy (2021), avec Raphaël Quenard, Flore Babled, Hugo Dillon, Inas Chanti… 1h14. Sortie le 18 décembre 2024.
Hugo Dillon et Raphaël Quenard
Certains films reflètent leur époque. C’est le cas de ce Conte nuptial aux intonations faussement rohmériennes qui voit deux machos purs et durs s’inspirer de la nouvelle-titre du recueil de Roald Dahl “La grande entourloupe”, afin de procéder le temps d’une nuit à l’échange simultané de leurs compagnes, sous prétexte de remettre un peu de piment dans leurs vies sexuelles au point mort. Associée à la production de projets aussi atypiques que La mort de Louis XIV (2016) d’Albert Serra et Vincent doit mourir (2023) de Stéphan Castang, Claire Bonnefoy a tiré de cette idée saugrenue une variation toute personnelle sous l’influence de #MeToo, en s’appuyant à la fois sur des dialogues éloquents et une structure de vaudeville passée au crible du féminisme contemporain. Elle adopte pour cela un parti pris audacieux en épousant successivement le point de vue de chacun de ses quatre protagonistes, sans jamais chercher à les juger ni à les condamner. Ce film est par son économie minimaliste l’archétype de certains projets conditionnés par le confinement et ses restrictions sanitaires, avec son nombre limité de protagonistes et ses décors circonscrits au strict minimum. Des contraintes qui se prêtent parfaitement à son sujet et permettent à la réalisatrice de remplir un cahier des charges qui coche toutes les cases d’un premier film d’auteur français en faisant la part belle à ses interprètes. En outre, sa sortie tardive n’est sans doute pas étrangère au fait que l’un d’eux, Raphaël Quenard, est devenu entre-temps l’un des talents les plus convoités de sa génération grâce à Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, qui lui a valu le César 2024 de la meilleure révélation masculine, mais aussi Yannick et Le deuxième acte de Quentin Dupieux.
Flore Babled et Inas Chanti
Conte nuptial repose sur des dialogues affûtés et le parti qu’en tire le quatuor réuni par Claire Bonnefoy. D’un jeu plutôt pervers initié par deux beaufs qu’on qualifiera de “peine-à-jouir”, elle tire un parti très original et porte sur le couple un regard désabusé sinon cruel, à travers des trentenaires de la petite bourgeoisie forts en gueule, mais au fond assez étriqués dans leurs fantasmes qu’ils ne sont même pas capables d’assumer jusqu’au bout. La réalisatrice s’appuie pour cela sur la complicité virile de Raphaël Quenard et Hugo Dillon qu’il oppose à la solidarité plutôt superficielle de leurs compagnes qu’incarnent Flore Babled et Inas Chanti. Le film propose en cela une vision pour le moins désenchantée de cette classe moyenne reléguée à la périphérie des villes et gagnée par une routine consternante de banalité qu’elle se révèle incapable de rompre. Cette comédie de mœurs révèle en outre une cinéaste dotée d’un solide sens de l’observation qui sait jouer aussi efficacement des mots que des silences en investissant habilement l’espace qui lui a été imparti. Derrière son titre sibyllin sinon ironique, ce premier film très bref nous renvoie une image assez désolante d’une génération qui en est arrivée à avoir besoin d’un livre pour alimenter des fantasmes bien trop démesurés pour elle, faute de réussir à les exprimer avec ses propres mots et surtout à en mesurer une réalité qui menace de faire dériver l’acte d’amour vers l’agression sexuelle en toute impunité. Et le pire, c’est que ces gens-là existent et n’ont pas davantage conscience de la gravité de leurs actes que de leur état d’esprit. Ce film apparaît en cela comme un cri du cœur nécessaire contre le virilisme banalisé et auto-satisfait.
Jean-Philippe Guerand
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