Film français d’Emmanuel Mouret (2024), avec India Hair, Camille Cottin, Sara Forestier, Damien Bonnard, Grégoire Ludig, Vincent Macaigne, Éric Caravaca, Mathieu Métral, Louise Vallas, Hanaé Alves, Philippe Chareyron, Laurent Roth, Laurent Crozet, Brice Fournier, Louis Seguin, Pauline Andriot, Audrey Gomis, Jimmy Delourneaux… 1h57. Sortie le 6 novembre 2024.
Sara Forestier et Camille Cottin
Emmanuel Mouret persiste et signe une de ces études de mœurs comme il les affectionne. Scénario en béton armé, rôles chevillés au corps, dialogue fusants et rebondissants pour des interprètes inspirés. La formule a naguère produit des comédies virevoltantes qui n’avaient qu’un défaut : on les oubliait instantanément, tant l’intimité de l’enjeu était minuscule. Affleurait le bonheur qu’avait le metteur en scène à diriger des comédiens dont il a longtemps été le partenaire. Du coup, on est allé jusqu’à comparer ce Marseillais à Sacha Guitry plutôt qu’à Marcel Pagnol pour son goût du verbe, référence qu’il revendiquait, mais aussi à Éric Rohmer pour son goût des jeunes filles en fleur, ce qu’il récusait. C’est alors que le réalisateur a commencé à noircir le tableau et à faire vieillir ses personnages. Comme pour prouver qu’il s’était résigné à grandir et même à mûrir. Il a glissé ainsi du marivaudage au drame psychologique en s’éclipsant discrètement comme interprète et en assumant enfin son âge. Trois amies illustre cette mue en assumant les conventions du film choral à travers divers états du couple confronté aux aléas de la vie. Mouret se concentre sur trois personnages pour évoquer autant de stades des relations sentimentales, comme si chacu en illustrait un voire plusieurs. Son film se présente ainsi comme une sorte de radiographie d’un désordre amoureux dont la plupart des repères commencent à se brouiller, mais qu’il s’acharne à aborder sans se laisser imprégner par la nouvelle donne inhérente à notre époque. La dysphorie de genre le concerne moins que l’infidélité.
India Hair et Vincent Macaigne
Le réalisateur choisit pour épicentre de son film Joan, qu’incarne India Hair, enfin dans un rôle à sa démesure, avec autour d’elle ses complices que campent Camille Cottin et la trop rare Sara Forestier, laquelle assume ses nouvelles rondeurs avec naturel, comme d’autres leurs premières rides, sans jamais tricher avec des sentiments parfois incompatibles les uns avec les autres. Fasciné par les femmes, le réalisateur en arrive à négliger parfois ses protagonistes masculins, peut-être trop nombreux donc inégalement servis, à l’exception notable de son fidèle Vincent Macaigne (c’est leur troisième collaboration d’affilée) qui en vient à occuper une place privilégiée de témoin silencieux dans une variation fantastique autour du travail de deuil qui n’atteint toutefois pas la puissance d’évocation dévolue au revenant Casey Affleck dans A Ghost Story (2017) de David Lowery. On ne peut reprocher à Mouret ni la qualité de son scénario, ni l’élégance de ses dialogues, ni la qualité de sa direction d’acteurs. En revanche, on préférerait qu’il prenne davantage de risques et fende l’armure des conventions pour laisser son film intégrer des moments imprévus et spontanés. Comme dans la vie. Ce cinéma trop lisse pour surprendre ne fait que ronronner en dévidant une partition prévisible qui donne l’impression de vouloir rassurer à défaut d’étonner et plus encore de détonner. Bien malin qui pourrait trouver dans ce film tiré à quatre épingles un pur moment de cinéma et la prise de risque qui pourrait aller de pair. Trop de sagesse et de prudence finissent par engendrer une routine qui n’est pas toujours très éloignée de l’ennui. Tout l’inverse d’un Alain Guiraudie, par exemple, et toujours en tout bien tout honneur.
Jean-Philippe Guerand
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