Nelly och Nadine Documentaire suédo-belgo-norvégien de Magnus Gertten (2022), avec Sylvie Bianchi, Nadine Hwang, Nelly Mousset-Vos, Natalie Clifford Barney, (voix) Anne Coesens, Bwanga Pillipilli… 1h33. Sortie le 27 novembre 2024.
Nadine Hwang et Nelly Mousset-Vos
Voici une entreprise comme le cinéma documentaire en engendre de plus en plus. Un film entier né d’une image unique qui en cache des milliers d’autres et exhume le spectre de vies oubliées qui appartiennent cependant à notre héritage pour la simple raison que ces existences individuelles considérées comme minuscules sont de celles qui ont contribué à faire évoluer notre regard collectif. Pour le cinéaste suédois Magnus Gertten, tout est parti du visage d’une femme aux traits asiatiques dont la gravité contrastait avec la joie des autres déportées sauvées de l’enfer des camps de concentration. En se livrant à une enquête, il a découvert que cette fille d’un diplomate chinois nommée Nadine Hwang, au regard énigmatique, a rencontré la veille de Noël 1944 au camp de Ravensbrück une chanteuse belge du nom de Nelly Mousset-Vos, elle-même mère de deux filles, avec qui elle a entamé une liaison “contre nature” qui s’est perpétuée jusqu’à la mort de Nadine, en 1972, après deux décennies passées à Caracas, au Venezuela, loin du regard des autres et des brimades imposées à leur communauté. C’est cette période de leur vie que retrace Magnus Gertten en s’appuyant sur leurs archives personnelles et le témoignage de leur représentante, Sylvie Bianchi, l’existence préalable de Nelly en qualité de mère de famille étant à peu près totalement occultée du récit. Comme si elle avait été effacée de son album de famille. Ne demeurent que les innombrables “home movies” tournés par Nadine qui témoignent de leur vie conjugale heureuse avec leur look vintage et des images des concerts et récitals donnés par Nelly en Belgique.
Nadine Hwang (au centre)
Nelly & Nadine est un film qui s’est donné les moyens de ses ambitions, mais comporte des zones d’ombre dont on comprend qu’elles ont été imposées au réalisateur. Il s’agit cependant tel quel d’un formidable témoignage sur deux femmes rescapées de la Shoah qui ont osé braver les interdits et vivre leur passion à une époque où l’homosexualité était considérée comme un délit dans la plupart des pays. Le personnage de Nadine est d’autant plus fascinant qu’elle a milité en tant que lesbienne dans les années 30 au contact du célèbre café littéraire parisien qu’animait l’intellectuelle américaine Natalie Clifford Barney, rue Jacob. Le film va donc bien au-delà de la simple passion de ces deux femmes pour s’étendre à la chronique d’une époque où la libération des mœurs était contrainte de s’épanouir dans une certaine clandestinité pour échapper à la loi sinon au jugement des autres. L’un de ses intérêts les plus vifs consiste à ne jamais prétendre tout dire de leur vie. D’abord parce que leurs films amateurs sont muets et que le réalisateur a eu l’idée de demander à deux comédiennes de leur prêter leur voix : Anne Coesens pour Nelly et Bwanga Pillipilli pour Nadine. Ensuite parce qu’il ne nous montre que des bribes éparses de leur existence et qu’on ne voit rien de ce qu’était leur vie quotidienne avant leur déportation. Et c’est aussi à travers ces points de suspension que ce documentaire de création réussit à nous intriguer et même parfois à nous envoûter.
Jean-Philippe Guerand
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