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“Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres” d’Andres Veiel



Riefenstahl Documentaire allemand d’Andres Veiel (2024), avec Leni Riefenstahl, Horst Kettner, Adolf Hitler, Rudolf Hess… 1h55. Sortie le 27 novembre 2024.



Adolf Hitler et Leni Riefenstahl



Figure ô combien controversée du XXe siècle, Leni Riefenstahl s’est fait connaître au tournant des années 30 comme actrice d’un genre spécifique du cinéma allemand, le film de montagne dont elle est devenue l’égérie à travers des œuvres comme L’enfer blanc du Pitz Palü (1929) et La lumière bleue (1932) grâce auxquels elle accède au rang de star populaire et apprend du réalisateur Arnold Fanck les rudiments de la technique cinématographique. Parmi ses inconditionnels figure le chancelier Adolf Hitler qui la considère comme l’une de ses favorites et lui confie la réalisation de deux documentaires de pure propagande dotés de moyens hors du commun. Le triomphe de la volonté (1935) exalte le parti National Socialiste, tandis que Les dieux du stade (1938) rend compte des Jeux Olympiques de Munich en exaltant la beauté des corps et à travers elle la glorification de la race aryenne. Un propos obsessionnel qui constitue la colonne vertébrale de son œuvre cinématographique et photographique et la conduira à chercher à se racheter une virginité, de l’immédiat Après-Guerre à sa mort plus que centenaire, après avoir couru l’Afrique. Plusieurs documentaires, dont le remarquable film de Michael Kloft Leni Riefenstahl - La fin d'un mythe (2020), ont été consacrés à cette femme de pouvoir qui fut l’une des premières réalisatrices de son pays et assuma avec un certain courage toutes les fautes qui lui furent reprochées, au point de se battre bec et ongles au fil des multiples procès où elle a dû répondre de ses actes et d’exhiber avec fierté les épais dossiers d’instruction qu’elle collectionnait.



Leni Riefenstahl



Le film que consacre aujourd’hui Andres Veiel à Leni Riefenstahl s’appuie sur un corpus d’archives considérable à travers lequel affleurent la dialectique et les éléments de langage de cette femme qui réussit à échapper au fameux processus de dénazification, alors même qu’elle est accusée d’avoir collaboré avec Adolf Eichmann à un film sur le ghetto de Varsovie et que les forces françaises ont mis sous séquestre les rushes de Tiefland, une œuvre de fiction dont une soixantaine de figurants avaient été recrutés parmi des prisonniers Roms et Sintis du camp de Salzbourg qui ont été déportés par la suite à Auschwitz. Conçu en 1934 et tourné pendant la guerre, ce projet champêtre dont elle tient l’un des rôles principaux sera mené à son terme et sortira même en 1954 après sa présentation hors compétition au Festival de Cannes. Exemple emblématique de la capacité de Riefenstahl à faire fi des obstacles et à renaître constamment de ses cendres. Jusqu’à bénéficier d’un retour en grâce médiatique dans les années 70 grâce à ses photographies du monde sous-marin et des Noubas du Soudan. Simultanément, comme le montre le film, elle continue à entretenir des rapports amicaux avec des personnalités aussi peu recommandables que Rudolf Hess, comme en attestent les enregistrements sonores de leurs conversations téléphoniques qu’elle a elle-même conservés et archivés avec soin. Ce portrait accablant est en cela aussi une œuvre cinématographique remarquable qui montre à quel point la vanité et l’ambition de Riefenstahl ont conditionné ses actes parfois ignobles sous couvert de se concentrer sur l’aspect artistique de sa démarche, comme elle a tenté de le faire croire dans ses mémoires publiés en 1987.

Jean-Philippe Guerand






Tiefland (1954) de Leni Riefenstahl

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