Soy Nevenka Film hispano-italien d’Icíar Bollaín (2024), avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gómez, Carlos Serrano, Lucía Veiga, Javier Gálego, Mercedes del Castillo, Luis Moreno, Font García, David Blanka… 1h57. Sortie le 6 novembre 2024.
Urko Olazabal et Mireia Oriol
Il est des sujets qui n’en auraient pas été il y a une ou deux décennies. Parce que ni le harcèlement de rue ni le droit de cuissage n’étaient encore des délits reconnus par la société civile. Il faut donc s’imprégner de l’état d’esprit qui régnait à la fin du deuxième millénaire pour apprécier le nouveau film de la cinéaste espagnole Icíar Bollaín, réputée pour ses œuvres engagées dont certaines écrites avec son mari Paul Laverty, le scénariste de Ken Loach. Elle relate cette fois l’histoire presque banale d’une jeune conseillère municipale qui tombe sous la coupe d’un maire machiste et dominateur, au point de devenir sa soumise à tous les sens du terme, sous peine de perdre son emploi et sans doute bien plus encore. Une emprise toxique dont elle ne parviendra à se dégager qu’en portant en justice cette affaire qui a fait jurisprudence en Espagne bien avant l’émergence du mouvement #Metoo en pointant des pratiques répandues au point d’être banalisées. La réalisatrice adopte le point de vue de la victime en décortiquant cette mécanique implacable qui dépossède peu à peu la victime de son libre-arbitre et met en scène des faits anodins pour montrer la prison intérieure dans laquelle elle se laisse peu à peu enfermer sous l’effet de conventions sociales extrêmement répandues où la phallocratie l’y dispute à la misogynie propre au patriarcat tout-puissant en usage dans les sociétés méditerranéennes depuis des siècles. Avec pour épicentre la fameuse problématique du consentement qui ne disait pas encore son nom où l’expression triviale de “promotion canapé” semblait pourtant éloquente par sa façon de mettre des mots sur des actes, même si l’on préférait le plus souvent en rire plutôt que d’en dénoncer l’abjection et l’inanité.
Mireia Oriol et Urko Olazabal
À cette époque pas si lointaine de la fin des années 90 où les femmes n’occupaient encore que des fonctions subalternes et accessoires, la situation que décrit L’affaire Nevenka est celle de ces innombrables secrétaires, assistantes, serveuses, infirmières et autres employées corvéables à merci, sommées de tout accepter et de se taire pour conserver leurs fonctions sans indisposer leur hiérarchie. La composition impressionnante de la comédienne Mireia Oriol apparaît magistrale de vérité dans cette implacable descente aux enfers où elle se laisse peu à peu déposséder d’elle-même et emporter par une spirale implacable. Il convient aussi de louer le rôle ô combien ingrat de son tourmenteur, qu’incarne Urko Olazabal, tout entier concentré sur une composition d’autant plus remarquable qu’il est toujours délicat pour un acteur d’interpréter un personnage à ce point négatif en parvenant à se montrer convaincant tout en évitant la tentation de l’empathie. Un slogan affirmait jadis d’Erich Von Stroheim qu’il était “l’homme que vous aimerez haïr”, ce qui était un défi en soi. Rien de tel ici, tant Icíar Bollaín nous immerge dans le réel sans la moindre complaisance. Son film a en outre le mérite de montrer à quel point notre regard a changé et combien c’est grâce à ces anonymes qui ont osé remettre en question des pratiques auxquelles personne ne prêtait véritablement attention, tant elles semblaient enkystées dans cette tradition anachronique du “droit de cuissage” héritée du Moyen-Âge, aussi aberrante était-elle. Nevenka Fernández apparaît donc a posteriori comme une authentique pionnière, non pas parce qu’elle est devenue conseillère municipale à 25 ans, mais parce qu’elle a osé s’élever contre un système d’un autre âge. Telle est la morale de ce film parfois éprouvant.
Jean-Philippe Guerand
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