Film d’animation belgo-français de Michel Hazanavicius, avec (voix) Jean-Louis Trintignant, Grégory Gadebois, Dominique Blanc, Denis Podalydès… 1h21. Sortie le 20 novembre 2024.
Les réalisateurs traditionnels sont de plus en plus nombreux à effectuer des échappées vers le cinéma d’animation dont les possibilités techniques et graphiques infinies facilitent la concrétisation de certains projets. C’était assurément le choix idéal pour porter à l’écran le conte de Jean-Claude Grumberg, tout en respectant son atmosphère fantastique. Au cœur d’une forêt polonaise, un bûcheron et son épouse vivent coupés du monde, loin du fracas de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’au jour où la femme recueille un bébé tombé (ou jeté) d’un train de déportés qu’elle entreprend d’élever comme si c’était le sien, sans d’abord rien en dire à son époux. Le bambin prend rapidement une place de choix parmi ce couple, le mari lui témoignant même peu à peu la tendresse d’un père… Michel Hazanavicius s’est approprié cette histoire simple et pourtant si compliquée en dessinant lui-même les visages de ses protagonistes comme des eaux-fortes au fusain façon Chagall qui ont servi de base au travail de l’équipe chargée de l’animation. Le réalisateur de The Artist signe sans doute ainsi paradoxalement son film le plus personnel en s’adressant à un public de tous âges, ce qui est rarement le cas des films qui traitent de la Solution Finale, tant le sujet est de nature à effrayer. Au point que Claude Lanzmann avait décrété qu’aucune œuvre de fiction ne serait jamais en mesure de se montrer à la hauteur de l’enjeu, pas plus La liste de Schindler (1993) de Steven Spielberg que La vie est belle (1997) de Roberto Benigni n’ayant trouvé grâce aux yeux du mémorialiste de Shoah (1985) rallié à la fameuse formule d’Elie Wiesel, “ Dire l’indicible ”. Ne jamais rien montrer, surtout huit décennies après les faits, serait cependant apporter de l’eau saumâtre au moulin des négationnistes qui ne demandent que ça. Il apparaît donc plus essentiel que jamais d’entretenir la flamme de notre mémoire collective et de l’empêcher de vaciller.
Michel Hazanavicius emprunte en quelque sorte un itinéraire bis en misant sur la notoriété du texte de Jean-Claude Grumberg (Éditions du Seuil, 2019), lui-même destiné à un lectorat plutôt jeune par sa facture et son caractère mémoriel. Pour avoir souvent officié comme scénariste (il a même obtenu un César en 2003 pour Amen de Costa Gavras) et écrivain pour enfants, le dramaturge est devenu un véritable expert en la matière. Il sait combien il est parfois plus efficace de suggérer que de montrer et joue dans La plus précieuse des marchandises sur la présence du hors-champ afin de dépeindre le bouleversement d’un couple qui ne veut rien savoir de ce qui se trame à proximité de chez lui pour continuer à vivre tranquillement. Jusqu’au moment où il sauve malgré lui ce bambin d’une extermination inéluctable par pure charité, mais surtout pour combler un manque dans sa vie de famille, quitte à accéder au statut de justes sans l’avoir prémédité. La puissance de ce récit repose en effet sur le rôle qu’y tient le hasard, car ses protagonistes n’ont vraiment rien de héros. Ce sont des gens ordinaires qui se trouvent confrontés à des événement extraordinaires sans toujours en mesurer les conséquences. Ils ont juste conscience qu’il convient de cacher ce poupon dont ils ne peuvent biologiquement pas être les parents, même s’ils assument ce rôle au quotidien et s’humanisent à son contact. Hazanavicius s’appuie en outre pour donner un supplément d’âme à ces personnages sur un casting vocal de haute volée, du narrateur que Jean-Louis Trintignant a campé quelques semaines avant sa disparition au bûcheron campé par Grégory Gadebois en remplacement d’un Gérard Depardieu devenu trop encombrant et à son épouse qu’incarne Dominique Blanc. Ce film élégant et déchirant atteint à une justesse miraculeuse par la simplicité avec laquelle il aborde la pire des tragédies à travers le prisme de la bienveillance et de l’humanité. Il est plus que jamais nécessaire d’en méditer les enseignements face aux apôtres du mensonge toujours en embuscade.
Jean-Philippe Guerand
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