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“Kafka, le dernier été” de Georg Maas et Judith Kaufman



Die Herrlichkeit des Lebens Film germano-autrichien de Georg Maas et Judith Kaufmann (2024), avec Sabin Tambrea, Henriette Confurius, Daniela Golpashin, Mira Griesbaum, Lionel Hesse, Manuel Rubey, Luise Aschenbrenner, Leo Altaras, Caspar Stoltenberg, Mia Klein Salazar, Michaela Caspar, Klaus Huhle, Alma Hasun… 1h39. Sortie le 20 novembre 2024.



Sabin Tambrea



Franz Kafka a inspiré à Steven Soderbergh en 1991 un deuxième film facilité par la Palme d’or de Sexe, mensonges et vidéo qui mettait l’existence de l’écrivain en parallèle avec son œuvre, quitte à accorder une place prépondérante à l’esthétique expressionniste en noir et blanc servie par une reconstitution tirée à quatre épingles. Jeremy Irons campait par ailleurs cet employé d’assurance comme s’il était lui-même le personnage du “Procès” perdu dans une sorte de labyrinthe existentiel. Associés pour la deuxième fois, Georg Maas et Judith Kaufmann prennent l’exact contrepied de ce parti pris et s’attachent à restituer le plus fidèlement possible l’existence de ce gratte-papier mort à seulement 40 ans sans avoir encore publié des ouvrages aussi importants que “Le procès”, “Le château” ou “L’Amérique” qu’il avait demandé de détruire à son exécuteur testamentaire Max Brod, lequel les a au contraire fait publier. Comme son titre le souligne, Kafka, le dernier été s’attache à cette période où l’écrivain atteint de la tuberculose est admis dans un sanatorium où l’accompagne Dora Diamant, une animatrice pour enfants qu’il a rencontrée au bord de la Baltique. Le film pérennise l’image d’un homme usé qui va retrouver le goût de vivre au contact de ce dernier amour et prendre ses distances avec un père toxique dans un ultime sursaut.



Henriette Confurius



En s’attachant à la fin de vie de l’écrivain tchèque étranger à la gloire, d’après le roman de Michael Kumpfmüller “Les splendeurs de la vie”, ce film réalisé à quatre mains s’impose un classicisme assumé qui évite les lieux communs en prenant soin de dissocier l’auteur de l’individu. À aucun moment la subtilité du scénario ne cherche à empreindre d’un caractère prophétique cette touche de bonheur illusoire. Un propos merveilleusement servi par deux interprètes inconnus : Sabin Tambrea (qui s’est fait remarquer en incarnant Louis II de Bavière) dans le rôle d’un Kafka dépressif au visage émacié qui se réfugie dans l’humour et la lumineuse Henriette Confurius dans celui de la femme qui échouera à le sauver, mais le réchauffera de son affection profonde sans doute trop tardive. L’intelligence du film consiste à laisser la vie affective de Franz se substituer temporairement à l’activité littéraire de Kafka. Un peu comme si l’écrivain incompris avait décidé d’effacer les désillusions de son insuccès chronique en se jetant tout entier dans cette liaison amoureuse vers laquelle il concentre ses ultimes forces. Une approche singulière mais très pertinente qui éloigne ce biopic des clichés et des conventions.

Jean-Philippe Guerand





Sabin Tambrea et Henriette Confurius

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