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“Grand Tour” de Miguel Gomes



Film franco-italo-portugo-germano-japono-chinois de Miguel Gomes (2024), avec Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Teresa Madruga, Jani Zhao, Lang-Khê Tran, Manuela Couto, Joao Pedro Benard, Cláudio da Silva, Joana Barcia, Jorge Andrade, Joāo Pedro Vaz, Diogo Doria, Giacomo Leone, Américo Silva… 2h08. Sortie le 27 novembre 2024.



Gonçalo Waddington



Le cinéma portugais possède une spécificité assez rare : il ne produit quasiment que des films d’auteur dont le producteur Paulo Branco, récemment célébré au festival de Pessac, a été l’un des artisans les plus actifs, en particulier à travers sa collaboration avec le doyen du cinéma mondial : Manoel de Oliveira. Cette figure tutélaire n’a en revanche inspiré que peu d’émules véritables. Au sein de ce cinéma de prototypes, l’ex-critique Miguel Gomes fait toutefois figure d’exception avec une demi-douzaine de longs métrages en tout juste vingt ans parmi lesquels deux titres de référence : Tabou (2012), libre adaptation du chef d’œuvre posthume de Murnau, et Les mille et une nuits (2015), un triptyque de plus de six heures sur les conséquences de la crise économique portugaise. Nouveau défi avec Grand Tour qui a obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes où il avait été le premier film sélectionné en compétition à l’automne précédent. Le cinéaste y retrace la poursuite à travers l’Extrême-Orient d’un fonctionnaire britannique en poste en Birmanie par sa fiancée en rupture de ban. Ce Road Movie né d’un télescopage d’images filmées dans divers pays et perturbé par la pandémie de Covid-19 s’est écrit à partir de ses images dans une démarche atypique qui distille une poésie particulière à un rythme souvent contemplatif. En raison des circonstances, Miguel Gomes a même dû communiquer ses instructions à distance à certains de ses opérateurs, notamment dans une Chine confinée.



Crista Alfaiate



Le résultat est un voyage fascinant à travers l’espace et le temps qui repose sur des associations visuelles et sonores de nature à engendrer des sensations et des émotions épidermiques qui s’apparentent parfois à une variation autour du fameux principe de l’écriture automatique affectionné par les surréalistes. Gomes joue toutefois sur un élément prépondérant : la nostalgie. Le film puise son inspiration dans deux pages du récit de voyage de Somerset Maugham “Un gentleman en Asie” publié en 1930. Il est imprégné dans Grand Tour de ce sentiment spécifique qu’est la saudade portugaise, cette langueur nostalgique qui reflète à la fois le mal du pays et le désir d’ailleurs de ces colons. La narration échappe à toutes les règles en vigueur et repose sur un savant assemblage qui distille un sentiment d’exotisme fascinant et revendique une superficialité assumée. Adepte d’un cinéma contemplatif qui applique l’influence esthétique des cartes postales à un romantisme à la désuétude assumée, Gomes nous invite aujourd’hui à feuilleter un livre d’images richement enluminé, où la couleur contraste volontiers avec un noir et blanc extrêmement travaillé. Le metteur en scène tire un habile parti de la multiplicité de ses chefs opérateurs pour l’appliquer à un journal de voyage d’une surprenante puissance évocatrice qui nous poursuit longtemps après la fin de la projection et tire son mystère parfois hallucinogène des pointillés qui parsèment sa narration selon une harmonie très étudiée. C’est une invitation au rêve vraiment entêtante.

Jean-Philippe Guerand








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