Film français de Claude Lelouch (2024), avec Kad Merad, Elsa Zylberstein, Michel Boujenah, Sandrine Bonnaire, Barbara Pravi, Françoise Gillard, Marianne Denicourt, François Morel, Raphaël Mezrahi, Clémentine Célarié, Lionel Abelanski, Dominique Pinon, Julie Ferrier, Françoise Fabian, Xavier Inbona, Ludivine de Chastenet, Ibrahim Maalouf… 2h07. Sortie le 13 novembre 2024.
Françoise Gillard
Un avocat lassé de mentir décide de prendre la poudre d’escampette et de se resourcer au contact de ses rencontres et d’assouvir sa passion pour la musique. L’occasion pour lui de croiser le meilleur et le pire de l’humanité, tout en conviant des souvenirs qui l’obsèdent. Ce résumé sommaire pourrait être de celui de pas mal de films de Claude Lelouch, incorrigible fabricant de rêves obsédé par le hasard et les coïncidences, bref tout ce qui donne du sens à nos vies, à commencer par l’amour qu’il a si souvent exalté. Comme son titre laconique semble vouloir l’indiquer, Finalement ressemble par bien des aspects à une conclusion. À cela près que chez Lelouch, rien n’a jamais été définitif et que la dernière image suggère un nouveau lendemain en devenir à travers une suite éventuelle. Si bilan il y a, il reste donc provisoire. Ce film choral et chaleureux brode en outre sur un postulat singulier : Kad Merad y incarne en effet le fils devenu père qu’aurait eu le couple formé par Françoise Fabian et Lino Ventura dans La bonne année (1973), avec en prime quelques images emblématiques de L’aventure c’est l’aventure (1972). Lelouch convie donc dans ce film sa propre mémoire cinématographique, à travers des interprètes auxquels il demeure fidèle et d’autres qui intègrent son univers. Ce nouveau titre ajoute un maillon à une chaîne qui ne cesse de s’allonger depuis plus de six décennies, avec un mélange de candeur, de générosité et d’enthousiasme qui l’incite depuis toujours à être le premier spectateur de ses propres films.
Sandrine Bonnaire
Dès la première scène, le ton est donné : le Lino en rupture de ban incarné par Kad Merad est pris en stop par un automobiliste compatissant qu’incarne François Morel. Un salaud sous une dégaine de brave type qui n’a de cesse de le dénoncer à la police après l’avoir déposé à proximité du Mont Saint-Michel. Cette obsession de la délation s’exprime à un autre moment du film, dans un contexte franchement tragique, lorsqu’un couple de Juifs est dénoncé aux autorités allemandes sous l’Occupation par de “braves Français moyens” comme on en a maintes fois croisés, du Bon et les méchants (1975) à Les uns et les autres (1981). On perçoit à travers ces scènes la perplexité de Lelouch face aux démons de la nature humaine et combien le cinéma constitue depuis toujours un exutoire à ses yeux, avec sa capacité à montrer le monde plus beau qu’il n’est, sans céder pour autant à l’angélisme. En mettant en scène une sorte de clochard céleste dans Finalement, il entraîne une fois de plus au bout de ses rêves un homme qui tente de se mettre en conformité avec ses désirs les plus intimes, s’achète une clarinette chez un brocanteur et joue les anges gardiens auprès d’une agricultrice dans l’incapacité d’acheter un tracteur. C’est le bon génie d’Aladin qui brise les conventions sociales et que sa générosité pas si dispendieuse que ça range du côté des fous. Un lointain disciple de l’aventurier d’Itinéraire d’un enfant gâté (1988) qui pense sincèrement qu’on peut tout effacer pour recommencer dans un monde surmédiatisé. Ce que Lelouch lui-même a tenté de faire à un moment de sa carrière en signant sous le pseudonyme d’Hervé Picard Roman de gare (2007). Comme pour se faire oublier et repartir de zéro…
Kad Merad
Finalement propose une réflexion passionnante sur le regard des autres à travers la rupture d’un homme avec son milieu. Comme une sorte de droit à l’oubli qui trouve en Kad Merad une sorte d’interprète idéal face à ces familiers de la troupe lelouchienne que sont Elsa Zylberstein (ici en épouse), Michel Boujenah (le meilleur ami) ou Sandrine Bonnaire (la demi-sœur). Avec toujours ce souci du directeur d’acteurs d’y introduire de nouveaux talents, en l’occurrence ici la chanteuse Barbara Pravi révélée par le concours de l’Eurovision et l’actrice de la Comédie Française Françoise Gillard, l’une et l’autre aussi lumineuses qu’époustouflantes. Avec aussi ces petits cailloux blancs qu’aime à semer le réalisateur, comme ce bel hommage à la pudeur des sentiments manifesté par Meryl Streep et Clint Eastwood dans Sur la route de Madison (1995) et ces clins d’œil qu’il adresse çà et là aux inconditionnels de son œuvre, allant jusqu’à truffer le scénario de ce Road Trip de quelques moments empruntés à sa propre vie… jusqu’à quelques images fugitives de son propre mariage avec la romancière Valérie Perrin. Car pour Claude Lelouch, sans doute plus que pour n’importe quel autre cinéaste, la vie est aussi du cinéma. Ne s’agit-il pas de la morale de ce film et de la conclusion de son œuvre ? Finalement !
Jean-Philippe Guerand
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