Accéder au contenu principal

“Un amor” d’Isabel Coixet



Film espagnol d’Isabel Coixet (2023), avec Laia Costa, Hovik Keuchkerian, Luis Bermejo, Hugo Silva, Ingrid Garcia-Jonsson, Francesco Carril, Tamara Berbès, Violeta Rodriguez… 2h09. Sortie le 9 octobre 2024.



Laia Costa



Une citadine au bord de la crise de nerfs décide de se réfugier dans un village isolé où elle a quelque mal à se faire accepter des autochtones méfiants, quand ils ne se montrent pas carrément hostiles. L’argument d’Un amor, inspiré du roman de Sara Mesa Un amour (Grasset, 2022) évoque celui d’un autre film espagnol récent, As bestas de Rodrigo Sorogoyen. On y retrouve cet antagonisme endémique qui a creusé génération après génération un fossé abyssal entre le peuple des villes et celui des champs. Isabel Coixet a trouvé dans ce texte des correspondances avec ses thématiques de prédilection et en la personne de cette femme à la trentaine une sorte d’alter ego plus jeune qui reflète les contradictions de sa génération, en refusant notamment de se soumettre à un patriarcat dont l’hégémonie n’a pas encore été remise en cause dans les zones rurales qui persistent à s’accrocher à des pratiques ancestrales. Cette immersion vécue comme un besoin d’apaisement s’avère donc à double tranchant pour cette intruse discrète mais indésirable qui ne trouve en fait de véritable réconfort qu’auprès d’un chien et s’avère fascinée par un autre étranger, un Allemand.


Laia Costa et Hovik Keuchkerian



Cinéaste inégale, Isabel Coixet avance toutefois bille en tête depuis ses débuts comme l’attestent ses films les plus remarquables, Des choses que je ne t’ai jamais dites (1996), son premier film en anglais, Ma vie sans moi (2003) et The Secret Life of Words (2005). Elle revient symboliquement avec Un amor à sa langue natale donc à des repères fondamentaux et s’identifie pleinement à cette femme en crise qui se rapproche d’un misanthrope considéré comme un ours mal léché, lui-même en marge de cette communauté à laquelle il n’a jamais souhaité de s’intégrer tant il en pressentait les dangers. Le casting joue sur le contraste physique spectaculaire entre les deux interprètes principaux : d’une part la fluette Laia Costa qui semble à tous points de vue mal armée pour faire face à l’hostilité ambiante et à des conditions de vie approximatives de nature à faire fuir quiconque a grandi dans le confort citadin, de l’autre cette force de la nature qu’incarne Hovik Keuchkerian dont on perçoit qu’elle n’incite personne à lui chercher des noises et lui confère d’emblée un statut protecteur et rassurant. La mise en scène joue habilement de ce contraste saisissant en nous prenant peu à peu dans sa toile et érige cette histoire intimiste au rang de parabole sociétale, sans négliger pour autant aucune des problématiques qu’elle implique. Difficile de rester insensible à ce vibrant cri du cœur servi par une retenue de chaque plan. Ainsi va le monde…

Jean-Philippe Guerand







Laia Costa et Hovik Keuchkerian

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...