Film canado-dano-irlando-américain d’Ali Abbasi (2024), avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova, Martin Donovan, Catherine McNally, Charlie Carrick, Ben Sullivan, Mark Rendall, Iona Rose MacKay, Emily Mitchell, Patch Darragh, Michael Hough, Chloe Madison… 2h. Sortie le 9 octobre 2024.
Sebastian Stan
Ce film aurait pu s’intituler Les origines du mal ou L’enfance d’un chef. The Apprentice joue à la fois sur le nom d’une célèbre émission télévisée animée par Donald Trump en 2004 sur le principe d’un entretien d’embauche humiliant et sur la période cruciale de sa vie qu’il évoque, celle au cours de laquelle le fils de milliardaire mal-aimé va tomber sous la coupe d’un mentor qui va littéralement le remodeler, à l’image de la créature de Frankenstein. Ce redoutable gourou, c’est Roy Cohn, l’âme damnée du sénateur Joseph Mac Carthy devenu l’avocat de la famille Trump dans les années 70. C’est à ce personnage dépourvu de scrupules qui n’a jamais assumé son homosexualité avant de mourir du sida en 1986 que son émule doit son assurance et son mépris à toute épreuve. Le film que consacre à leurs relations le cinéaste danois d’origine iranienne Ali Abbasi est évidemment à charge. Il montre le jeune Donald Trump en fils de famille incapable de constituer des réseaux et de se faire un prénom parmi une élite qui ressemble à une fosse aux requins. Jusqu’au moment où l’avocat dépourvu de scrupules entreprend de prendre la place de son père et de lui donner de l’assurance et du bagout en toutes circonstances, avec cette caractéristique qui deviendra l’un de ses signes de reconnaissance : la notion de vérité alternative. Jusqu’au révisionnisme institutionnalisé sous sa présidence. C’est bien dans l’antichambre d’un monstre que nous entraîne cette étude de mœurs dont le principal intéressé a demandé l’interdiction aux États-Unis jusqu’aux élections présidentielles du 5 novembre 2024. Preuve qu’il n’y a que la vérité qui blesse et que ce film en regorge.
Jeremy Strong et Sebastian Stan
The Apprentice repose sur la confrontation de deux acteurs prodigieux, mais encore peu connus en France : le comédien d’origine roumaine Sebastian Stan, couronné à la dernière Berlinale de l’Ours d’argent du meilleur acteur pour son interprétation dans le rôle-titre d’A Different Man d’Aaron Schimberg. Face à ce Donald Trump en devenir, le rôle du diabolique Roy Cohn est tenu par Jeremy Strong, couronné d’un Emmy Award et d’un Golden Globe pour la série Succession. Le film repose pour une bonne part sur le contraste de ses deux protagonistes et la vampirisation qui s’opère entre eux, alors qu’ils se situent physiquement aux antipodes l’un de l’autre, le jeune capitaine d’industrie prenant de l’assurance, tandis que son maître à penser rongé par le mal qui l’emportera est peu à peu ostracisé par son entourage, jusqu’à se retrouver seul face à la mort. Un peu comme si l’un se nourrissait des forces de l’autre. Ce portrait saisissant du futur Président en jeune homme est d’autant plus remarquable qu’il lui trouve des circonstances atténuantes, notamment à travers ce père carnassier et castrateur qu’incarne Martin Donovan. Il s’inscrit en outre dans le prolongement de l’ébauche qu’en esquissait James Gray sous les traits de John Diehl dans Armageddon Time (2022). Il convient ici de louer la subtilité du scénario de Gabriel Sherman, déjà remarqué pour The Loudest Voices (2019), une série consacrée au patron controversé de Fox News, Roger Ailes. Toujours avec le même sens de la nuance et une vision des dessous de la politique américaine comme un cloaque putride où tous les coups sont permis, surtout les plus sournois.
Jean-Philippe Guerand
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