Film français de Céline Sallette (2024), avec Charlotte Le Bon, John Robinson, Damien Bonnard, Judith Chemla, Alain Fromager, Virgile Bramly, Grégoire Monsaingeon, Nora Arnezeder, John Fou, Quentin Dolmaire, Hugo Brunswick, Éric Pucheu, Xavier de Guillebon, Romain Sandère… 1h38. Sortie le 9 octobre 2024.
Charlotte Le Bon et John Robinson
Belle idée que de célébrer une artiste volontiers réduite à un document d’actualité célèbre qui la montre tirant au revolver sur des poches de peinture disposées le long d’une toile pour créer en laissant libre cours au hasard. Pour son premier film en tant que réalisatrice, Céline Sallette n’a pas choisi de compenser une frustration de comédienne, comme tant de ses collègues, mais d’esquisser le portrait d’une rebelle qui a sans doute eu le tort de se tromper d’époque : trop tard pour bénéficier de la liberté insouciante des surréalistes, mais aussi trop tôt pour surfer sur l’émergence du mouvement punk. Soucieuse de conserver sa liberté par rapport à son sujet, la cinéaste prend le parti de ne montrer aucune des œuvres de Niki de Saint-Phalle dont les droits de reproduction sont prohibitifs. Un paradoxe pour un film qui s’attache à toutes les facettes de la création et dépeint la solidarité qui s’établit pour souder une communauté de créateurs totalement ignorés du cinéma jusqu’alors. Plutôt que de témoigner de ce mouvement qui bouillonnait sous leurs yeux, les réalisateurs des années 50 ont préféré se consacrer à des maîtres consacrés, que ce soit Henri-Georges Clouzot en observant une tempête sous un crâne dans Le mystère Picasso (1956) ou Jacques Becker en menant à bien un projet sur Amedeo Modigliani de son maître Max Ophüls dans Montparnasse 19 / Les amants de Montparnasse (1958). Céline Sallette s’attache quant à elle à une femme qui trouve un soulagement moral et psychologique dans la peinture. Quitte à affronter ses démons dans la douleur.
Damien Bonnard et Charlotte Le Bon
Niki nous place en fait dans l’antichambre d’une œuvre. En amour, on parlerait de préliminaires. Céline Sallette s’attache à ce moment mystérieux et passablement insaisissable au cours duquel un individu se transfigure en créateur. Elle choisit pour cela une femme en souffrance dans une Après-Guerre encore solidement cramponnée au patriarcat, Niki Matthews. Une mère de famille issue de l’aristocratie américaine qui a rompu avec son milieu d’origine en s’installant dans la France de la Reconstruction avec mari et enfant, sans réussir à rompre avec son enfance pervertie. Un rôle en or pour la Québécoise Charlotte Le Bon qui s’engouffre corps et âme dans cette faille. Comme s’il avait fallu une autre comédienne, derrière la caméra, pour saisir les démons qui sourdent derrière sa beauté éclatante, elle qui fut mannequin comme l’a été Niki, est passée à la réalisation elle aussi avec Falcon Lake et pratique la peinture et la sculpture dont elle partage l’ivresse et les secrets de fabrication. Autour d’elle, la cinéaste et son coscénariste Samuel Doux ont en outre le mérite de faire vivre une communauté artistique soudée dont les œuvres sont accrochées sur les cimaises des plus grands musées mais dont l’existence reste pour l’essentiel oubliée, à l’instar du couple formé par Jean Tinguely et Eva Aeppli (Damien Bonnard et Judith Chemla) ou de Pierre Restany et Arman que campent respectivement Quentin Dolmaire et Hugo Brunswick avec une intensité corrosive qui supplante avantageusement la tentation du pittoresque à l’usage des profanes. Niki est avant tout la chronique douloureuse d’une pionnière qui s’émancipe à une époque où le féminisme piétine et balbutie, écrasé par des figures de proue comme Colette, Simone de Beauvoir ou Coco Chanel.
Jean-Philippe Guerand
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