Film français de Mehdi Idir et Grand Corps Malade (2024), avec Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup, Camille Moutawakil, Hovnatan Avédikian, Luc Antoni, Ella Pellegrini, Victor Meutelet, Lionel Cecilio, Rupert Wynne-James, Tigran Mekhitarian, Gulia Avetisyan, Benjamin Cléry, Petra Silander, Roxane Barazzuol, Jowee Omicil, Nicolas Chupin, Charlotte Agres, Tiffany Hofstetter, Soufiane Guerrab, Étienne Guillou-Kervern… 2h13. Sortie le 23 octobre 2024.
Tahar Rahim
Réaliser un biopic n’est pas vraiment une sinécure, même si ça peut parfois rapporter gros, comme ce fut le cas pour La Môme de . Mieux vaut s’attaquer à des personnalités disparues depuis suffisamment de temps pour qu’elles aient eu le loisir de s’effacer de notre quotidien et éventuellement accomplir leur traversée du désert. Célébrer le centenaire de Charles Aznavour par un film constituait un risque d’autant plus grand que cette personnalité était encore en haut de l’affiche à sa mort, en 2018, et n’a connu aucune éclipse. Son centenaire, même posthume, en constituait une occasion en or. Restait à résoudre deux problèmes cruciaux : qui pour incarner ce personnage encore très présent dans nos mémoires et quel interprète pour jouer et chanter ce rôle sans donner l’impression d’être un perroquet ou un sosie ? Recréer une voix à l’écran reste un véritable casse-tête dans la mesure où les fans ne sont pas davantage prêts à accepter la plus petite approximation que les spectateurs de cinéma ne sont disposés à endurer une composition trop appliquée. Mieux vaudra toujours l’original à une copie nécessairement mécanique qui relève souvent davantage de la reproduction que du mimétisme. Reste que par sa nature même, le biopic est propice aux prix d’interprétation et autres colifichets flatteurs, même s’il peut avoir raison de ses interprètes trop absorbés dans leur rôle. Qu’on songe au Napoléon d’Abel Gance, Albert Dieudonné, ou à la Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer, Renée Falconetti. A contrario, Paul Muni s’est fait une spécialité de ces dédoublements en accrochant à son tableau de chasse Louis Pasteur, Émile Zola et Benito Juárez, tandis que Marion Cotillard a géré La Môme comme un tremplin international.
Tahar Rahim
Mehdi Idir et Grand Corps Malade ont trouvé l’oiseau rare en la personne de Tahar Rahim, acteur discret qui n’a jamais été confronté à une composition aussi écrasante et a pris le risque insensé de devenir méconnaissable pour mieux servir ce personnage qui subit en outre une opération de chirurgie esthétique. La performance vocale de l’acteur a quant à elle été allégée, du fait que si c’est bien lui qui est à l’image, la voix qu’on entend est parfois mixée délicatement avec celle du chanteur dans ses enregistrements originaux. Monsieur Aznavour réussit donc son pari, sans céder aux démons de l’hagiographie, et dépeint un artiste obsédé par son art qui ne fend l’armure que pour épouser celle qu’il aime, parce qu’elle a osé le brusquer en le faisant sortir de sa tour d’ivoire, et met sa gloire au service des grandes causes qui lui importent, à commencer par son Arménie natale dans laquelle s’était déjà immergé pour sa part Tahar Rahim dans The Cut (2014) de Fatih Akin. Monsieur Aznavour est le portrait saisissant d’un perfectionniste obsessionnel qui a pu se montrer odieux, mais a servi son art jusqu’à son dernier souffle et signé un nombre incalculable de standards à l’épreuve du temps. Nomination au César à prévoir pour la performance de Tahar Rahim qui ne s’est pas contenté de mettre ses pas dans les siens, mais s’est identifié à sa personnalité pourtant aux antipodes de la sienne. Sinon dans leur quête d’excellence commune et partagée.
Jean-Philippe Guerand
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