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“Miséricorde” d’Alain Guiraudie



Film franco-hispano-portugais d’Alain Guiraudie (2024), avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jean-Baptiste Durand, Jacques Develay, David Ayala, Serge Richard, Tatiana Spivakova, Elio Lunetta, Sébastien Faglain, Salomé Lopes… 1h43. Sortie le 16 octobre 2024.


Félix Kysyl et Jean-Baptiste Durand


De retour dans le village des Cévennes où il a débuté pour assister aux obsèques du boulanger qui lui a mis la main à la pâte, un jeune homme (Félix Kysyl) s’attarde, au point de nouer d’étranges relations avec certains autochtones. Un point de départ minimaliste pour une comédie de caractères comme les affectionne le réalisateur facétieux de L’inconnu du lac (2013). Son personnage principal est une fois de plus celui par qui le scandale arrive, en l’occurrence un héritier assez énigmatique du Terence Stamp de Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini qui excelle dans l’art délicat de profiter des points faibles des autres, sans jamais se laisser dicter sa conduite ni même apprivoiser. Que ce soit par l’épouse consolable de son ex-patron que campe Catherine Frot, de retour dans le cinéma d’auteur avec sa fantaisie coutumière et un bon sens déconcertant, un curé dénué de scrupules lorsqu’il s’agit d’assouvir ses pulsions charnelles (Jacques Develay) ou un faux dur en proie à des fantasmes qui le dépassent (Jean-Baptiste Durand, le réalisateur de Chien de la casse). Sur un sujet qui aurait pu prêter à un drame psychologique dense ou à un marivaudage léger, Guiraudie choisit la tangente et pose un regard singulier sur des protagonistes perturbés par l’irruption d’un jeune homme dépourvu de scrupules qui a la particularité d’avancer sans se poser de questions et de mettre les problèmes de morale entre parenthèses pour assouvir ses désirs les plus intimes en faisant abstraction du qu’en dira-t-on.


Félix Kysyl et Catherine Frot


Alain Guiraudie règle son film comme un ballet et laisse à dessein des parts d’ombre chez son personnage principal qui semble moins agir que subir, tout en parvenant à ses fins le plus naturellement du monde, grâce à un sens de la manipulation peu banal. Chez lui, le sexe est libre et exulte. Le genre n’est quant à lui qu’une composante accessoire sinon superflue et il n’existe pas vraiment d’interdits rédhibitoires quand il est question que le corps exulte. Quelle que soit la gravité du sujet qu’il aborde, Guiraudie le dédramatise et prend le parti d’en rire en dépeignant systématiquement le monde plus apaisé qu’il n’est. On aurait bien tort de le lui reprocher. Derrière son titre ironique, Miséricorde est la chronique sardonique d’une communauté rurale qui cultive des pratiques équivoques dans le domaine des mœurs mais dont les membres se “couvrent” mutuellement par leur discrétion, à l’exception notable du prêtre de la paroisse qui profite de sa fonction pour assouvir ses désirs les moins recommandables dans un coming-out aussi quotidien que décomplexé. Le propos du film est en cela beaucoup plus transgressif qu’il ne pourrait y paraître de prime abord, mais le réalisateur le contre-balance habilement par un humour à toute épreuve dans un vibrant éloge de l’insouciance. À l’image de la veuve joyeuse campée par Catherine Frot dont on se souvient qu’elle a incarné il y a peu un autre personnage ô combien transgressif : l’épouse de notable en proie à une dysphorie de genre dans Un homme heureux de Tristan Séguéla. C’est parce qu’il jette un regard joyeux sur ce petit village français disparate que Guiraudie réussit une fois de plus à faire bouger les lignes de la comédie de caractères traditionnelle en relevant la guimauve de piment fort.

Jean-Philippe Guerand





Félix Kysyl et Jacques Develay

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