Film français de Boris Lojkine (2024), avec Abou Sangare, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse, Emmanuel Yovanie, Younoussa Diallo, Ghislain Mahan, Mamadou Barry, Yaya Diallo, Keita Diallo, Amadou Bah, Karim Bouziane, Sory Binta Barry, Thierno Sadou Barry, Nagnouman Touré, Frédéric Faria, William Cotteaux-Guinard, Roger Bernard, Boris Lojkine, Leonie Lojkine… 1h33. Sortie le 9 octobre 2024.
Abou Sangare
Deux jours avant de passer l’entretien administratif qui lui permettra de régulariser sa situation auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, un demandeur d’asile africain répète son discours formaté, tout en se démenant jour et nuit pour quelques euros. Un sujet tout simple pour un film traité sur le mode du cinéma vérité qui montre la face cachée de notre quotidien, la survie quotidienne de ces nouveaux esclaves à deux-roues qui livrent des repas, parfois au risque de leur vie, pour des salaires de misère et dans une situation de précarité absolue. Cette étude de mœurs plus réaliste que naturaliste a le mérite de s’attacher à un paysage humain auquel on a fini par ne plus faire attention tant il appartient à notre quotidien. Boris Lojkine se comporte comme un photographe faisant poser un couple qui décide de modifier la focale pour faire le point sur ce qui se passe derrière ou à côté et nous montrer un spectacle qui rompt avec cette harmonie. Il donne la parole à ceux qui ne l’ont jamais, mais qui font partie intégrante de notre quotidien tout en restant aussi discrets que possible pour qu’on oublie qu’ils sont dans leur grande majorité clandestins, même s’ils constituent un maillon indispensable de la machine économique en attendant leur régularisation hypothétique. L’histoire de Souleymane est donc aussi celle de ces milliers d’invisibles corvéables à merci. qui sillonnent les rues des grandes villes en occupant les emplois précaires dont personne d’autre ne veut.
Abou Sangare
Pour aboutir à cette œuvre de fiction d’une authenticité troublante, le réalisateur Boris Lojkine, déjà remarqué pour son film précédent, Camille, a procédé à une véritable enquête de terrain afin de rencontrer ces forçats de nos rues toujours prêts à répondre à nos caprices de consommateurs, de jour comme de nuit. Résultat : un film fluide qui épouse les mouvements et les déplacements de ses protagonistes pour dresser l’état des lieux de ce monde qui nous entoure et auquel nous devrions prêter plus d’attention, tant il repose sur des pratiques contestables et une exploitation de la misère et de la fragilité. Jamais pourtant L’histoire de Souleymane ne cherche à donner de leçon ou à bousculer notre bonne conscience. C’est juste la chronique impressionniste d’un monde contemporain qui va si mal qu’il a laissé prospérer des situations qui échappent à l’organisation du travail, mais arrangent tout le monde. Une démonstration magistrale qui est indissociable de la personnalité d’Abou Sangare, miraculeux de retenue, de pudeur et de dignité. Lojkine est un cinéaste humaniste qui regarde systématiquement ce que ses confrères n’essaient même plus de voir. Dans la lignée de Ken Loach et de Philippe Faucon, il est sans doute l’un des seuls cinéastes de sa génération à filmer par empathie les conséquences humaines de la mondialisation et du libéralisme sur les plus faibles. Quitte à montrer ici Souleymane piégé par ses compagnons de galère qui entreprennent de lui faire raconter le pseudo-calvaire qu’il aurait enduré pour attendrir une fonctionnaire rompue à tous les stratagèmes, alors même que le récit de ce qu’il a vraiment vécu serait sans doute suffisamment poignant en soi pour lui valoir un meilleur accueil. Reste que la description de cette mécanique mortifère en dit long sur le poids mortifère des mots confrontés aux actes. Ce film est une merveille dont les multiples récompenses soulignent la puissance dénuée d’artifices.
Jean-Philippe Guerand
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