Film belgo-français de Stefan Liberski (2024), avec Benoît Poelvoorde, Camille Cottin, François Damiens, Gustave Kervern, Laurence Bibot, Lorella Cravotta, Marine Dandoy, Ambre Grouwels… 1h50. Sortie le 30 octobre 2024.
Benoît Poelvoorde et François Damiens
Certains films forcent le respect pour une raison qui vient à leur échapper. Derrière son titre accrocheur, L’art d’être heureux accroche à son générique d’authentiques fabricants de bonheur qui ne sont en aucun cas des comiques patentés, mais plutôt des francs-tireurs du sourire en coin. Avec deux Belges en têtes de gondole : Benoît Poelvoorde et François Damiens dont le contraste physique s’avère saisissant. Un artiste méconnu décide de s’installer en Normandie afin de s’y resourcer et d’y réaliser enfin le grand œuvre qui lui vaudra gloire et éternité. Sur place, il rencontre des autochtones qui ébranlent ses convictions par leur bon sens et leur hédonisme à toute épreuve. Avec à l’horizon la promesse d’un but plus pragmatique : une certaine idée du bonheur. Le réalisateur Stefan Liberski a puisé l’inspiration de son nouveau film dans un roman de Jean-Philippe Delhomme intitulé “La dilution de l’artiste” (Denoël, 2001) qui en définit clairement l’enjeu : fuir le réel de peur qu’il ne devienne un obstacle aux rêves. Le personnage campé par Benoît Poelvoorde veille à parfaire son image d’artiste conceptuel maudit, mais décide de prendre le large pour ne plus avoir à subir le regard de son entourage devenu trop pesant. Ce qu’il n’a pas prévu, c’est que dans ce bocage rassurant aux falaises de craie, son sacerdoce artistique est totalement désacralisé. Dès lors, il va retrouver un sens à sa vie au contact de ces êtres simples dépourvus de préjugés mais pas d’empathie.
Benoît Poelvoorde et Camille Cottin
Au-delà de la personnalité de son héros fantasque et attachant, L’art d’être heureux propose une réflexion sur le statut d’artiste frappée au coin du bon sens. Un propos d’autant plus pertinent au moment où l’actualité cinématographique déverse son content de biopics à jet continu, à peu près toujours sur le même modèle, de Niki à Lee Miller en passant par Monsieur Aznavour pour ne citer que les plus récents. Poelvoorde incarne quant à lui un personnage anticonformiste qui résiste à l’intégration et en paie le prix, prenant le maquis pour mieux se retrouver après avoir tenté de se perdre. Faute de reconnaissance, il forme des émules et se projette en eux. Comme pour approcher la gloire par procuration, c’est-à-dire sans avoir à en endurer les contraintes. Jolie morale pour une belle histoire qui doit beaucoup à la fantaisie et à l’alchimie de ses interprètes. Le casting s’impose d’ailleurs par sa singularité et son excentricité, Camille Cottin occupant quant à elle une place résolument à part au sein de cette extravagante assemblée d’originaux liés par une complicité qui crève l’écran et d’où émergent aussi Lorella Cravotta, transfuge des Deschiens adoptée par les Chiens de Navarre, et l’interprète fétiche du réalisateur, Ambre Grouwels, à qui Stefan Liberski a déjà valu un Magritte. Sensible aux ambiances décalées, celui-ci évolue en virtuose sur un registre faussement léger qui raccorde avec le mélange des genres de son opus précédent : Tokyo Fiancée (2014), inspiré quant à lui par un roman de sa compatriote Amélie Nothomb. C’est dire que le rire n’est jamais bien loin des larmes.
Jean-Philippe Guerand
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