Juror #2 Film américain de Clint Eastwood (2024), avec Nicholas Hoult, Toni Colette, Zoey Deutch, Kiefer Sutherland, Leslie Bibb, Chris Messina, Gabriel Basso, J. K. Simmons, Amy Aquino, Adrienne C. Moore, Cedric Yarbrough, Chikako Fukuyama, Onix Serrano… 1h54. Sortie le 30 octobre 2024.
Nicholas Hoult (au centre)
Un futur père de famille est requis comme juré dans un procès pour meurtre dont l’accusé aurait commis des violences conjugales répétées avant de tuer sa compagne sous l’emprise de l’alcool. Face à lui : une procureure déterminée à utiliser cette affaire médiatisée comme un exemple au moment où elle-même est candidate à un mandat électif prestigieux. L’affaire semble entendue tant les témoins peuvent attester du caractère sanguin de l’accusé et de ses relations conflictuelles avec la victime. Aujourd’hui nonagénaire, Clint Eastwood est l’un des derniers survivants du cinéma hollywoodien de l’âge d’or qui a toujours revendiqué l’influence déterminante de deux réalisateurs très différents : Sergio Leone qui en a fait une star et Don Siegel qui a excellé notamment sur le registre du film noir. Juré n°2 s’inscrit dans une autre tradition, celle du cinéma de tribunal, en adoptant un point de vue qui évoque celui du fameux 12 hommes en colère (1957) de Sidney Lumet par les incidences de l’affaire criminelle sur le groupe de citoyens conviés à décider de la culpabilité de l’accusé. Avec cette variante qui implique l’un des membres du jury un peu malgré lui. On navigue là plutôt dans les eaux d’un autre film, français celui-là, Le septième juré (1962) de Georges Lautner, par sa confusion des genres. Mais n’en révélons pas trop, même si Eastwood choisit de faire du spectateur le complice objectif de ses protagonistes.
Nicholas Hoult (au centre)
Toujours bon pied bon œil à l’âge canonique de 94 ans, Clint Eastwood restait sur l’échec artistique et économique cinglant de son précédent film, Cry Macho : 16,5 M$ de recette mondiale pour 33 M$ de budget en septembre 2021. C’est sans doute l’une des raisons qui ont conduit le vétéran à se lancer dans un ultime (?) projet. Au point qu’un jeune gandin nommé entre-temps à la tête de la Warner s’est basé sur les résultats décevants du film (qui a tout de même rapporté la moitié de son coût de fabrication) pour juger bon de décréter qu’il convenait d’enterrer en grande pompe Juré n°2 qui ne sera finalement programmé que sur cinquante écrans aux États-Unis, sans garantie d'élargir cette combinaison en cas de succès, ce qui s’apparente à un sabotage organisé et dénote de la part du studio d’une incohérence dommageable. Un effacement pur et simple qui illustre le désarroi des Majors perturbées par la pandémie de Covid, la montée en puissance des plateformes et la double grève des scénaristes et des acteurs (qui a d’ailleurs entraîné une interruption du tournage), à la tête desquelles les créateurs ont été remplacés par des décideurs, aussi incultes soient-ils, qui préfèrent se fier à des lignes comptables qu’à des critères proprement cinématographiques, faute de compétences véritables en la matière. Juré n°2 est pourtant rien moins qu’un film au classicisme éprouvé qui s’appuie sur des codes narratifs universels pour disserter du concept de vérité à travers le prisme non moins fameux de l’intime conviction.
Clint Eastwood a accordé sa confiance à un jeune scénariste, Jonathan Abrams, qui n’a à son actif que des séries encore inédites et une comédie en devenir, Destination Wedding. Celui-ci s’y attache au fonctionnement spécifique de la justice américaine à travers ce qu’on peut considérer comme un cas d’école. Une réflexion qui s’appuie sur deux personnages dont le destin individuel va se fracasser contre une cause commune en les contraignant à regarder ailleurs, au moment même où ils se trouvent accaparés par leurs préoccupations personnelles : le juré découvre les joies de la paternité, tandis que la procureure mène campagne pour son élection. Le cinéma de procès, le réalisateur l’a notamment abordé dans Minuit dans le jardin du bien et du mal (1997), Jugé coupable (1999), L’échange (2008) et Le cas Richard Jewell (2019), toujours sous l’angle de la quête de la vérité. Juré n°2 s’inscrit dans cette lignée en mettant en balance l’individuel et le collectif. On y retrouve l’idéalisme qui a fait la grandeur de cinéastes comme John Ford, Frank Capra ou Otto Preminger sur des registres différents. Avec en prime deux acteurs en état de grâce : la trop rare Toni Collette et le fringant Nicholas Hoult, avec à leurs côtés des seconds rôles aussi charismatiques que J. K. Simmons et Kiefer Sutherland. Résultat : un film au classicisme éprouvé qui propose une réflexion en profondeur sur l’imbrication des fonctions juridiques et politiques dans le système américain.
Jean-Philippe Guerand
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