Film américain de Todd Phillips (2024), avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson, Catherine Keener, Zazie Beetz, Ken Leung, Harry Lawtey, Steve Coogan, Jacob Lofland, Gattlin Griffith, Bill Smitrovich, Leigh Gill, George Carroll, Tim Dillon, Sharon Washington, Mike Houston… 2h19. Sortie le 2 octobre 2024.
Joaquin Phoenix et Lady Gaga
Avec Joker (2019), Todd Philips a inventé une alternative radicale à la vogue des super-héros, en s’attachant à la genèse d’un tueur psychopathe qui deviendra plus tard l’ennemi juré de Batman. Sa suite s’attache à la détention et au procès de ce triste sire qui devient l’idole d’Harley Quinn. En s’appuyant sur des personnages plutôt que sur une histoire préexistante, le film joue la carte du réalisme sinon du naturalisme le plus noir et s’en remet pour cela à la personnalité hors du commun de son interprète principal, Joaquin Phoenix au sommet de son art, humanisé ici par sa complicité avec Lady Gaga et aussi une réelle vulnérabilité sous sa folie. Ce caractère insaisissable, il l’exprime à la fois par sa résistance au traitement qu’on lui fait subir au redoutable asile d’Arkham à mi-chemin entre la prison de L’enfer est à lui (1949) de Raoul Walsh et l’hôpital psychiatrique de Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) de Milos Forman, avec Brendan Gleeson en maton sadique, mais aussi par sa façon de se défendre lui-même au tribunal, quitte à donner des arguments à ses accusateurs par sa sincérité déroutante. En le confrontant à l’amour, le scénario ne vise pas une rédemption illusoire, mais plutôt une humanisation accrue qui passe par la transgression des mécanismes de la comédie musicale. Avec au moins un morceau d’anthologie : l’interprétation déchirante de “Ne me quitte pas” de Jacques Brel en français comme un véritable cri du cœur.
Le ton est donné dès la séquence d’ouverture signée par le réalisateur français Sylvain Chomet (Les triplettes de Belleville) dans l’esprit des légendaires Merry Melodies, mauvais esprit en prime. Comme une pincée d’innocence pervertie. L’habileté de Todd Philips consiste dès lors à jouer de repères issus de la saga de DC Comics et familiers de ses fans, tout en brisant le moule et en les recyclant à sa façon sur un registre d’une noirceur extrême. Avec toutefois ici une composante de taille qui inscrit le film dans la grande tradition hollywoodienne à travers son hommage appuyé à la comédie musicale de l’âge d’or et quelques somptueux intermèdes sous le signe de Tous en scène. Comme si ce couple uni par sa marginalité se réfugiait dans ses rêves artificiels en Technicolor pour échapper à une réalité sordide et notamment à ces décors si souvent popularisés par le septième art que constituent un centre de détention et un tribunal. Poussé à réaliser cette suite par Joaquin Phoenix, qui a été oscarisé pour son rôle d’Arthur Fleck, et le succès considérable de l’opus initial (plus d’un milliard de dollars de recette planétaire pour le film interdit aux mineurs non accompagnés le plus lucratif de tous les temps), Todd Philips pratique en quelque sorte la politique de la terre brûlée, luxe suprême qui consiste à rendre toute suite théoriquement impossible. Cette Folie à deux manifeste en tout cas une audace souvent sidérante et toujours débordante d’inventivité. La déraison du plus fou est parfois la meilleure. Surtout quand elle outrepasse toutes les limites.
Jean-Philippe Guerand
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