Accéder au contenu principal

“Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau” de Gints Zilbalodis



Flow Film d’animation lettono-franco-belge de Gints Zilbalodis (2024), 1h25. Sortie le 30 octobre 2024.





Il y a des lustres, Siné avait signé un album intitulé “Je ne pense qu’à chat !” (Livre de Poche, 1968) qui pointait tous les traits de caractères de ces animaux de compagnie parfois aussi à l’état sauvage. Gints Zilbalodis signe embarque aujourd’hui l’un de ces félins dans une aventure pour le moins inattendue. Le réalisateur letton signe avec Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau une variation écologique sur le thème de l’Arche de Noé dans laquelle l’animal hydrophobe doit prendre sur lui pour sauver sa peau et devenir à la fois un marin d’eau douce et un… loup de mer. Un argument très simple pour un film qui accumule les défis en évitant de jouer la carte de l’esbroufe. Non seulement on ne quitte jamais des yeux son protagoniste héroïque malgré lui, mais cette histoire sans paroles s’avère envoûtante, sans multiplier pour autant les coups de théâtre et les rebondissements artificiels. Pas question de psychologiser le personnage. Son supplément d’âme s’exprime par ses expressions et notamment à travers ses yeux et le regard qu’il porte sur son entourage, à la fois hautain, dédaigneux, désabusé et empli d’une bonne dose de mystère. L’épopée de Flow sur les flots devient dès lors un voyage initiatique à travers une nature déchaînée en proie à un dérèglement climatique dont on a des manifestations régulières à peu près partout dans un monde en proie à la colère des éléments. Le message est à la fois universel et implacable. Le langage délibérément épuré du film lui confère un écho d’autant plus vaste, notamment en direction des spectateurs les plus jeunes qui en percevront le langage simple.





Véritable homme-orchestre du cinéma d’animation contemporain, Gints Zilbalodis s’était fait remarquer avec son premier long métrage, Ailleurs (2019), qu’il avait intégralement réalisé seul, en revenant ainsi aux origines même de son art et en le dépouillant de tous ses oripeaux artificiels pour aller droit à l’essentiel. Triplement primé au festival d’Annecy, Flow… repose pour une bonne part sur l’expressivité de son héros à la dérive dans les vestiges d’un monde dont les humains ont disparu. Un parti pris qui perturbe d’autant plus nos repères spatio-temporels qu’on en vient à se demander si l’on se trouve dans le présent, l’avenir ou le passé, nos seuls repères étant des paysages et des éléments architecturaux au fond eux-mêmes assez peu identifiables. Comme autant de vestiges post-apocalyptiques des splendeurs d’une civilisation disparue. L’envoûtement de ces images provient du contraste qui s’établit entre le regard pénétrant de ce chat énigmatique et les décors qui l’entourent. À aucun moment, Zilbalodis ne cherche à nous donner le moindre indice sur le pourquoi et le comment de ce déluge qui résonne comme un cri d’alarme à notre usage collectif. Outre ses qualités proprement esthétiques, ce beau film est en cela un geste citoyen puissant au service d’une véritable urgence humanitaire qui accorde au chat une sagesse immortelle, au moins aussi vieille que l’Égypte antique où il faisait figure d’animal sacré et promise par extension à une certaine forme d’éternité.

Jean-Philippe Guerand



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...