Accéder au contenu principal

“Tatami” de Guy Nattiv et Zar Amir Ebrahimi



Film géorgo-américain de Guy Nattiv et Zar Amir Ebrahimi (2023), avec Arienne Mandi, Zar Amir Ebrahimi, Ash Goldeh, Jaime Ray Newman, Nadine Marshall, Lir Katz, Valeriu Andriutã, Mehdi Bajestani, Farima Habashizadehasi, Elham Erfani, Sina Parvaneh… 1h43. Sortie le 4 septembre 2024.



Arienne Mandi et Zar Amir Ebrahimi



Certaines histoires méritent plus que d’autres d’être relatées tant elles apparaissent porteuses d’enseignements universels. Celle que relatent Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv dans Tatami s’avère riche à de multiples égards. L’association même du réalisateur israélien du biopic de Golda Meir avec l’actrice iranienne en exil couronnée du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2022 pour Les nuits de Mashhad est hautement significative sur le plan symbolique, toute collaboration entre les deux pays étant considérée dans son principe même comme un acte de haute trahison. Se plaçant délibérément au-dessus de la mêlée, les deux réalisateurs s’y attachent à une combattante de l’équipe nationale de judo iranienne qui participe aux championnats du monde dans sa discipline avec pour objectif de rapporter à son pays sa première médaille d’or dans sa discipline. Elle passe les premiers tours de qualification dans une relative sérénité. Jusqu’au moment où les autorités de la République islamique la somment de prétexter une blessure pour déclarer forfait, sous prétexte que le tirage au sort risque de l’amener à affronter une adversaire israélienne. Avec les conséquences que risquerait de faire peser un refus de cette injonction sur sa famille et sur ses proches. Face à ce choix cornélien, la sportive va devoir prendre ses responsabilités… À travers ce sujet traité sous la forme d’un suspense grandissant dont l’issue semble de plus en plus incertaine au fil des combats, ce film conçu comme un véritable compte à rebours aborde avec subtilité les multiples enjeux de son sujet, mais aussi plus largement la notion d’engagement inhérente à tous les conflits.



Arienne Mandi et Jaime Ray Newman



Couronné du prix Brian lors de la Mostra de Venise 2023, ce film qui oppose le civisme au nationalisme met les formes pour traiter un sujet qui pourrait manquer de rebondissements et s’avérer répétitif pour des spectateurs peu férus d’un sport de combat dont les récents Jeux Olympiques de Paris ont démontré combien ses règles semblent parfois nébuleuses aux yeux des profanes. L’usage du noir et blanc associé à une mise en scène épurée qui s’attarde sur les visages place Tatami hors du temps et même de l’espace. L’action se concentre sur la compétition et ses multiples aléas et déplace peu à peu ses enjeux du sport à la géopolitique. L’actualité s’est chargée entre-temps de parer le propos d’une réalité brûlante, à travers la crispation des rapports entre Israël et l’Iran, avec l’embrasement irrémédiable qu’engendrerait de façon irrémédiable un conflit armé dans cette région du monde. Zar Amir Ebrahimi (qui incarne aussi l’entraîneuse de la sportive) et Guy Nattiv traitent à travers ce film à quatre mains et autant d’yeux de la responsabilité de l’individu, quel qu’il soit, mais aussi de l’investissement personnel et des sacrifices innombrables qu’implique pour un sportif le fait de viser le sommet de sa discipline, tout en défendant les couleurs de son pays. Dès lors, pas question de renoncer à ces efforts pour servir la raison d’État. Un propos audacieux mais rassurant dans un monde en fusion où le simple fait de prendre ses responsabilités peut apparaître comme un acte d’héroïsme. Des cinéastes courageux en ont attesté en se résignant à prendre le chemin de l’exil, les plus récents étant le Russe Kirill Serebrennikov (Limonov, la ballade) et l’Iranien Mohammad Rasoulof (Les graines du figuier sauvage).

Jean-Philippe Guerand




Zar Amir Ebrahimi et Arienne Mandi

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...