Film américain de Jade Halley Bartlett (2024), avec Martin Freeman, Jenna Ortega, Bashir Salahuddin, Gideon Adlon, Dagmara Dominczyk, Christine Adams, Augustine Hargrave, Elyssa Samsel, Ray Fawley, Trace Haynes, André Wilkerson… 1h33. Mise en ligne sur Prime Video le 19 septembre 2024.
Un professeur de littérature désespéré par le niveau pitoyable de ses élèves et leur désintérêt pathologique voit débarquer dans sa classe une adolescente qui l’éblouit par sa connaissance des classiques et se lance dans l’écriture d’une nouvelle où elle laisse libre cours à ses fantasmes les moins avouables. Jusqu’au moment où son enseignant qui est aussi son premier lecteur en prend connaissance et se sent interpelé dans un véritable défi amoureux… Il fallait une femme pour venir à bout de ce sujet audacieux qui pouvait donner lieu aux traitements les plus licencieux et dériver vers le glauque et le graveleux. Jade Halley Bartlett se tire de cette délicate affaire en confrontant les points de vue de ses deux protagonistes : Cairo Sweet (tout un programme !), cette gamine impubère en proie à la confusion du désordre amoureux inhérente à son âge et l’homme mûr protégé par la flamme d’une vie de couple fusionnelle sous le signe d’une double communion intellectuelle et sensorielle avec une partenaire à la libido volcanique (Dagmara Dominczyk). Miller’s Girl illustre la dualité de son titre qui associe le patronyme de cet écrivain frustré à celui du clandestin de la littérature dont la prose inspire son élève, Henry Miller. Avec en point d’orgue ce moment où la lecture de sa composition en forme de déclaration le pousse dans ses ultimes retranchements.
Contrairement à ces classiques sulfureux des années 80 que sont Neuf semaines et demie ou Liaison fatale dont les préliminaires sophistiqués et le passage à l’acte constituaient la raison d’être mais aussi un défi au puritanisme étouffant de la société américaine, le film de Jade Halley Bartlett se déroule dans une sorte de no man’s land entre réalité et fantasme où la puissance des mots se substitue à la perversité des sentiments et pointe du doigt une misère sexuelle pathétique. Une confrontation qui doit beaucoup à la personnalité de ses deux interprètes principaux. L’élégant Martin Freeman en intellectuel désabusé apparaît comme une sorte de prolongement à un demi-siècle de distance de l’idéaliste campé par Paul Giamatti dans le récent Winter Break d’Alexander Payne, avec la Géorgie en lieu et place de la Nouvelle Angleterre. Quant à Jenna Ortega en Lolita sudiste qui arbore la beauté du diable, elle débarque parée de l’aura empreinte de perversité que lui ont valu ses prestations dans la série Mercredi de Tim Burton et les récents reboots de la saga Scream.
Jenna Ortega
L’une des particularités du film consiste à se concentrer autour de cinq personnages, avec en miroir des deux principaux protagonistes une autre élève passablement perturbée qui jette quant à elle son dévolu sur un prof de sport. Avec aussi un parti pris audacieux qui consiste à isoler ce quatuor de son contexte scolaire, l’environnement n’étant jamais montré et à peine suggéré, sans même mentionner l’absence appuyée des parents qui a valeur de démission généralisée. Comme pour illustrer au pied de la lettre ce lieu commun qui affirme que les amoureux sont seuls au monde, même si le désir prend ici nettement le pas sur son assouvissement, grâce à des artifices de mise en scène utilisés avec pertinence. Des caractéristiques singulières pour un film qui repose tout entier sur la suggestion, mais réussit à énoncer quelques vérités bien senties sur les ravages de la misère sexuelle dans une Amérique trumpiste menacée par ses pires démons où le désir est stigmatisé comme un vice potentiel.
Jean-Philippe Guerand
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