Film colombiano-français de Camila Beltrán (2024), avec Stella Martinez, Mallerly Murillo, Héctor Sánchez, Marcela Mar… 1h16. Sortie le 4 septembre 2024.
Héctor Sánchez et Stella Martinez
Voici un film qui croise deux thèmes vieux comme le monde : la peur du diable et cet âge ingrat où les adolescents sentent leur corps leur échapper malgré eux. Mi bestia (littéralement Ma bête ou La bête en moi) se déroule à Bogota en 1996, au moment où la population vit dans la psychose d’une éclipse de lune qu’une superstition têtue associe volontiers depuis des lustres à un châtiment divin. C’est dans cette atmosphère de malédiction étouffante qu’une gamine de 13 ans, Mila, se sent peu à peu considérée autrement par son entourage, sans que quiconque cherche à lui en expliquer la raison véritable qui relève davantage de la biologie que de la prophétie. La réalisatrice colombienne Camila Beltrán choisit un angle singulier pour évoquer les sensations indicibles et les sentiments exacerbés qui caractérisent les métamorphoses inhérentes à la puberté. Elle choisit pour protagoniste une collégienne d’un pensionnat catholique qui vit au quotidien dans un climat plutôt étouffant et manifeste des pouvoirs occultes qui symbolisent en quelque sorte la rébellion du sexe dit faible contre une oppression masculine devenue récurrente en Amérique latine. Derrière le film de genre affleure dès lors un geste féministe puissant dans une société encore archaïque par bien des aspects.
Stella Martinez
Mi bestia manifeste de la part de sa réalisatrice des partis pris formels particulièrement audacieux qui passent notamment par un usage systématique de plans serrés exprimant l’étouffement, à l’exception notable du prologue et de l’épilogue qui servent à circonscrire l’action dans un périmètre déterminé. À d’autres occasions, elle joue de la vitesse même du tournage et oscille du traditionnel 24 images par seconde en le réduisant à 16, 12 et même 8 afin d’imposer à notre rétine un rythme auquel celle-ci n’est pas accoutumée. Le film revendique en outre son appartenance au fantastique par la transformation spectaculaire de son héroïne qui renvoie à des classiques du genre, à commencer par La féline de Jacques Tourneur. Il émane paradoxalement de cette chronique d’apprentissage en trompe-l’œil une grâce indissociable de sa jeune interprète principale, Stella Martinez, laquelle passe de l’innocence à la perversité avec un naturel déconcertant et s’impose comme une véritable combattante contrainte de se défendre avec ses propres armes dans un environnement hostile où la condition féminine n’apparaît pas vraiment comme une cause digne d’intérêt. Le tout en recyclant des figures imposées du genre dans le cadre d’un univers patriarcal peu perméable au progrès et nullement enclin à accélérer une évolution salutaire des mentalités qui aille dans le sens de l’histoire.
Jean-Philippe Guerand
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