Accéder au contenu principal

“Megalopolis” de Francis Ford Coppola



Film américain de Francis Ford Coppola (2024), avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plazza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, Talia Shire, Jason Schwartzman, Kathryn Hunter, Grace VanderWaal, Chloe Fineman, James Remar, D. B. Sweeney, Isabelle Kusman, Bailey Ives, Madeleine Gardella, Balthazar Getty, Haley Sims, Dustin Hoffman, Sonia Ben Ammar, AJ Caba… 2h18. Sortie le 25 septembre 2024.



Jon Voight



Megalopolis : un titre qui évoque à près d’un siècle de distance le fameux Métropolis de Fritz Lang et une cité créée par un architecte en proie à la folie des grandeurs. Ce film, Francis Ford Coppola l’a porté en lui pendant des années. Peut-être trop longtemps. C’était déjà le cas d’Apocalypse Now (1979) dont le tournage rocambolesque avait bien failli avoir sa peau. Avec une deuxième Palme d’or à l’arrivée. Il faut dire que le réalisateur de la trilogie du Parrain s’est toujours fait une très haute idée du cinéma et qu’il s’est souvent donné les moyens d’en faire bouger les lignes. Au point que Megalopolis est un projet pharaonique dont tout le monde pensait que l’octogénaire ne réussirait jamais à le mener à son terme. C’était compter sans sa ténacité et surtout sur la capacité de ce phénix à renaître de ses cendres. Dracula (1992) avait semblé mettre un terme définitif à sa folie des grandeurs. Par la suite, L’homme sans âge (2007), Tetro (2009) et Twixt (2011) l’ont entraîné vers d’autres rivages avec des audiences confidentielles. Il ne s’agissait pourtant là que des ébauches successives d’une fresque futuriste dont la gestation a été très longue et qu’il a financée intégralement. À la fois faute d’investisseurs et pour en conserver la maîtrise absolue.



Nathalie Emmanuel



Disons-le tout net : Megalopolis ressemble par bien des aspects à ce qu’on a coutume d’appeler un grand film malade. Mais certains échecs portent parfois en germe des promesses absentes de projets ô combien plus aboutis. Or, le goût du risque fait partie intégrante du cinéma de Coppola. C’est même peut-être sa raison d’être essentielle. Le personnage principal de son nouveau film peut d’ailleurs être considéré comme son alter ego par bien des aspects. C’est un architecte, donc un artiste qui façonne le mode de vie de ses contemporains tout en laissant libre cours à son génie et à ses intuitions les plus folles, quitte à prendre le risque de s’isoler et de devenir fou. C’était déjà le cas de Don Vito Corleone dans Le Parrain, du colonel Kurtz dans Apocalypse Now voire du fabricant automobile de Tucker. Dans une ville du futur qui reproduit certaines caractéristiques de la Rome antique, une jeune femme est soumise à un conflit de loyauté entre son père conservateur qui est maire de la cité et son amant architecte utopiste qui est chargé de la reconstruire. Cet antagonisme en dissimule de multiples autres  qui agitent cet univers né dans l’esprit de son concepteur il y a une quarantaine d’années, puis remis en cause par les attentats du 11 septembre 2001 qui ont remis en cause l’intégrité de New York en tant que mégapole.



Giancarlo Esposito



Megalopolis séduit moins par son propos parfois empreint d’une certaine naïveté que par les multiples idées poétiques qui contribuent à sa progression. On en retiendra des idées parfois extraordinaires qui auraient sans doute gagné à être ordonnées avec davantage de rigueur. Reste que la scène au cours de laquelle Jon Voight use de son arbalète est un morceau d’anthologie, de même que l’idée récurrente d’une inversion de la pesanteur et surtout ce moment magique où le cinéma prend une nouvelle dimension, lorsqu’un quidam en chair et en os déboule devant l’écran qui se rapetisse considérablement et entreprend de converser avec l’architecte campé par Adam Driver. Initiative folle reproduite à toutes les séances et dans toutes les salles par obligation contractuelle qui donne l’occasion à Coppola d’expérimenter un procédé qui renvoie aux lointaines origines du septième art et notamment à ce film muet de la série Onésime où le héros se livrait à une course poursuite sur les toits de Paris au terme de laquelle son interprète Ernest Bourbon en personne apparaissait devant le public ébahi. Reste désormais à savoir quel sort réservera la postérité à Megalopolis et comment ses audaces, ses imperfections et ses scories résisteront au temps. Il est certaines œuvres maudites en leur temps qui deviennent des classiques aux yeux de la postérité. C’est tout le mal qu’on souhaite au grand Coppola dont ce film bourré de références parfois nébuleuses est de toute évidence à la fois le testament cinématographique et un ultime cri du cœur.

Jean-Philippe Guerand






Nathalie Emmanuel et Adam Driver

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract