Film français de Sophie Fillières (2024), avec Agnès Jaoui, Angelina Woreth, Édouard Sulpice, Valérie Donzelli, Laurent Capelluto, Emmanuel Salinger, Philippe Katerine, Maxence Tual, Rémi Giordan, Marc Strauss, Axelle Kunetz, Inna Dedet Lutanie, Julien Storini, Chloé Buatois, Hervé David, Ludovic Giraud, Frédéric Fix, Alexandra Jacqmei… 1h39. Sortie le 18 septembre 2024.
Agnès Jaoui
Difficile d’évoquer ce film sans contextualiser les conditions de sa réalisation. La réalisatrice Sophie Fillières y a en effet jeté ses dernières forces. Au point d’être hospitalisée à la fin du tournage en raison de la maladie qui l’a emporté en juillet 2023. Elle a alors décidé de confier sa postproduction à ses deux enfants, Agathe et Adam Bonitzer, qui ont accompli là un singulier devoir de mémoire en liaison avec ses collaborateurs principaux. Comme le souligne son titre, Ma vie Ma gueule s’attache aux questionnements existentiels d’une femme qu’incarne Agnès Jaoui et qu’on peut considérer à bien des égards comme le double de la réalisatrice. Malgré l’urgence de ses thèmes, le film évolue sur le registre de la comédie décalée et va jusqu’à s’autoriser quelques échappées vers le burlesque. C’est même la particularité du sillon qu’a creusé la réalisatrice au fil des sept longs métrages qu’elle a signés en trois décennies, de Grande petite à La belle et la belle, prêtant par ailleurs sa plume à la fine fleur du cinéma d’auteur dont Xavier Beauvois, Noémie Lvovsky, les frères Larrieu et Julie Bertuccelli. Sophie Fillières avait le chic pour plonger des personnages fantasques dans des situations rocambolesques, en revendiquant un droit à la loufoquerie. C’est précisément le cas de cette Barbie qu’elle met en scène ici dans ses rapports compliqués avec les autres et avant tout avec elle-même. Un registre qui colle comme une seconde peau à Agnès Jaoui, jamais aussi à son aise que dans ces rôles décalés qu’elle pousse vers une sorte de folie douce avec une poésie innée.
Philippe Katerine et Agnès Jaoui
Si la mort fait valoir les unités de la vie, comme le soutenaient les stoïciens, on peut raisonnablement considérer Ma vie Ma gueule comme un film testamentaire pour une cinéaste quinquagénaire taraudée par des questionnements de son âge et contrainte de regarder la mort en face. Une angoisse existentielle que Sophie Fillières a décidé d’aborder avec son tempérament habituel : sans plainte ni lamentation, mais avec un sourire en coin. Résultat, Agnès Jaoui est son double presque parfait face à un avenir incertain et à un vieillissement inéluctable. Une thématique que le cinéma n’aborde que rarement, sans doute parce que personne n’a envie d’affronter cette réalité-là, alors qu’elle nous concerne tous. La réalisatrice et son interprète s’en tirent par un humour à toute épreuve, sans chercher à se dérober devant l’obstacle. C’est ce qui fait de cette comédie un spectacle jubilatoire et universel, à l’image de certains de ses contributeurs, de Valérie Donzelli qui incarne sa sœur à Philippe Katerine qui en compose la musique et y tient un rôle, en passant par ces irrésistibles pince-sans-rire que sont Laurent Capelluto et Emmanuel Salinger. Difficile toutefois de voir ce film sans y repérer des connivences troublantes avec la situation de sa réalisatrice, elle aussi hospitalisée et mère de deux enfants. Et même si le mystère reste entier et qu’elle a emporté une partie de ses secrets dans la tombe, elle est partie avec un sourire qui fait chaud au cœur et le plus enthousiasmant de ses films.
Jean-Philippe Guerand
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