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“Les graines du figuier sauvage” de Mohammad Rasoulof



Daney anjir maabed Film irano-franco-allemand de Mohammad Rasoulof (2024), avec Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami, Setareh Maleki, Niousha Akhshi, Reza Akhlaghirad, Shiva Ordooie, Amineh Arani… 2h46. Sortie le 18 septembre 2024.



Reza Akhlaghirad et Misagh Zare



Les réalisateurs iraniens ont une puissance de résilience peu commune qui les a conduits à forger eux-mêmes les outils de leur indépendance. Les deux plus célèbres représentants de cette résistance de l’intérieur sont Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof, symboliquement arrêtés, condamnés et emprisonnés en décembre 2010 pour « actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran », alors qu’ils tournaient un film ensemble. L’un comme l’autre ont déployé des trésors d’imagination pour déjouer la censure et continuer à s’exprimer en rendant compte de la réalité sociale et politique aux yeux du monde, avec le soutien des festivals internationaux les plus prestigieux. Panahi a décroché le Lion d’or à Venise en 2000 pour Le cercle, puis l’Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran, Rasoulof l’Ours d’or de la Berlinale 2020 pour Le diable n’existe pas, ainsi qu’un prix spécial hautement symbolique et une poignée de récompenses annexes en mai dernier pour Les graines du figuier sauvage. Derrière son titre sibyllin dont le sens est explicité en préambule, ce nouveau film incarne le triomphe de la volonté d’un résistant qui a réussi à le mener à son terme en déjouant la surveillance rapprochée des gardiens de la Révolution, grâce à des financements intégralement occidentaux. Il l’a toutefois payé de sa personne en se résignant in extremis à fuir l’Iran à pied à la veille du Festival de Cannes, lui qui s’y était toujours refusé sous couvert de combattre de l’intérieur l’intégrisme du régime des Mollahs. 



Misagh Zare et Soheila Golestani



Les graines du figuier sauvage s’attache à un avocat intègre promu juge du tribunal révolutionnaire de Téhéran que ses activités professionnelles conduisent à affronter son cercle le plus intime tenu dans l’ignorance de ses véritables activités. Derrière les lourdes tentures qui masquent les fenêtres de son appartement bourgeois leur parviennent les échos des manifestations populaires orchestrées par les militantes héroïques du mouvement Femme Vie Liberté dont une camarade de ses filles qu’ils hébergent. Jusqu’au moment où il vient à égarer son arme de service et où les pressions deviennent si fortes qu’il doit partir se réfugier à la campagne avec sa famille. Cette tragédie en deux actes cultive des élans shakespeariens par son scénario réduit à l’épure. Plutôt que de dépeindre le juge dans ses activités, Rasoulof confirme son sens aigu de l’ellipse qui a si souvent fait merveille par le passé en le montrant systématiquement entre deux portes, encadré de silhouettes figées ostensiblement, comme s’il exerçait ses sinistres fonctions dans une sorte de clandestinité fonctionnarisée. La maîtrise du metteur en scène ne s’encombre d’aucune scorie inutile. Rasoulof atteint la quintessence de son art lors d’un dénouement en huis clos à ciel ouvert qui évoque quant à lui les plus beaux moments du film noir par son utilisation de l’espace. Le personnage principal dérive peu à peu vers la paranoïa pour évoquer certains criminels psychopathes. Comme si le film visait aussi à raconter la descente aux enfers d’un individu poussé à bout par l’institution collective dont il est supposé les consignes sans la moindre latitude pour son libre-arbitre. L’engrenage s’avère aussi implacable que terrifiant et fait de ce film un chef d’œuvre.

Jean-Philippe Guerand








Mahsa Rostami

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