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“Les barbares” de Julie Delpy



Film français de Julie Delpy (2024), avec Julie Delpy, Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Ziad Bakri, Jean-Charles Clichet, India Hair, Dalia Naous, Mathieu Demy, Marc Fraize, Fares Helou, Rita Hayek, Émilie Gavois-Kahn, Albert Delpy, Brigitte Roüan… 1h41. Sortie le 18 septembre 2024.



Sandrine Kiberlain et Julie Delpy



Le conseil municipal d’un village armoricain animé de généreuses intentions décide d’accueillir un groupe d’Ukrainiens, en suscitant des réactions diverses et variées parmi ses concitoyens animés d’intentions mitigées à l’égard de ces migrants quand ils découvrent que ceux-ci sont en fait… syriens. Le sujet n’est pas nouveau et a notamment servi de prétexte à Pour l’honneur de Philippe Guillard et The Old Oak de Ken Loach. L’actrice-réalisatrice Julie Delpy joue quant à elle la carte de la comédie grinçante sans prendre de gants et dresse l’état des lieux d’un microcosme plutôt bigarré qui reflète sans doute assez justement le pays fracturé qu’est devenue cette France si prompte à écorner sa devise “ liberté, égalité, fraternité” que le reste du monde lui envie. Sur un sujet plutôt sérieux, ce tableau de mœurs use du bon sens le plus élémentaire pour dresser un portrait de groupe très juste qui ose appuyer là où ça fait mal, ne serait-ce qu’en montrant qu’il existe une sorte de hiérarchie dans la générosité et l’altruisme qui est en fait rien moins que la manifestation du racisme et de la xénophobie les plus basiques. C’est en s’appuyant sur les réactions épidermiques d’une communauté ordinaire que Julie Delpy stigmatise sans les caricaturer des citoyens ordinaires que les circonstances poussent à révéler leurs plus bas instincts. La subtilité du propos pourrait se résumer dans cette scène où une femme fait remarquer à son mari que les griefs qu’il invoque contre ces migrants sont d’autant moins légitimes que cet homme pétri de préjugés n’est lui-même qu’un Breton d’adoption, en fait originaire d’Alsace. Quant aux “barbares” du titre, ce ne sont évidemment pas ceux qu’on pourrait croire.



Laurent Lafitte et India Hair



Cette comédie de caractères a le mérite insigne de nous montrer tels que nous sommes avec nos petits travers et nos incorrigibles défauts. En filigrane du portrait de groupe pointent quelques vérités bien senties et un discours politique plutôt nuancé qui arrive à un moment opportun. Julie Delpy a particulièrement soigné son casting et évite cette convention répandue qui consiste à faire basculer du côté du bien des personnages présentés initialement comme négatifs, à l’instar de ce plombier que campe Laurent Lafitte comme un grognon aux abois qui craint davantage pour sa propre situation qu’il ne redoute une invasion des “barbares” et dont la xénophobie répond à une peur et à un repli sur soi irrationnels. Le scénario coécrit par Matthieu Rumani, déjà associé à la série à succès Family Business, démonte avec efficacité ce phénomène, sans que l’humour omniprésent ne serve jamais de cache-misère propice à évacuer les questions qui fâchent. Adepte d’une certaine férocité, la réalisatrice ne mâche pas les mots qu’elle place dans la bouche de ses interprètes et ne recule jamais devant ses responsabilités. La France qu’elle dépeint est un pays de cocagne que les circonstances peuvent faire basculer du meilleur au pire et vice-versa. Elle nous tend à cette occasion un miroir parfois peu flatteur dans lequel il faut avoir le courage de se regarder. Ne serait-ce que pour essayer de s’améliorer en conjurant ses démons les plus inavouables. On y perçoit aussi en filigrane tous les paradoxes de cette France fracturée que Julie Delpy dépeint avec d’autant plus de pertinence qu’elle a choisi elle-même d’aller vivre aux États-Unis et que la distance confère un recul inestimable à cette actrice qui a toujours dit ce qu’elle pensait sans chercher à plaire à tout le monde.

Jean-Philippe Guerand







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