Film franco-germano-belge de Claire Burger (2024), avec Lilith Grasmug, Josefa Heinsius, Chiara Mastroianni, Nina Hoss, Jalal Altawil, Robert Gwisdek, Yuri Völsch… 1h45. Sortie le 11 septembre 2024.
Lilith Grasmug et Josefa Heinsius
Judicieuse idée que de prendre pour cadre d’un film l’un de ces séjours linguistiques que tant d’entre nous ont pratiqués en y apprenant bien plus que ce qu’ils étaient venus y chercher. Par le passé, ce postulat a essentiellement nourri des comédies, à l’instar du générationnel À nous les petites Anglaises ! (1975) de Michel Lang. Claire Burger opte pour l’option opposée, en quelque sorte, mais avec ce paramètre européen fondamental qui sous-tendait déjà la génération Erasmus chroniquée par Cédric Klapisch dans L’auberge espagnole (2002) et ses suites. Quand Fanny, adolescente strasbourgeoise plutôt renfermée, débarque dans sa famille d’accueil allemande à Leipzig, après une phase d’observation, elle trouve en sa correspondante plutôt affranchie une complice inattendue avec qui elle se trouve pas mal de préoccupations communes. Au point de succomber à sa fascination pour Lena et d’adhérer à son engagement militant par pure empathie. Derrière son titre polysémique, Langue étrangère traite joliment du passage difficile à l’âge adulte à travers l’émulation d’une adolescente par une autre en qui elle trouve une sorte de mentor, tant elle incarne tout ce qu’elle n’a jamais réussi à devenir, en assumant avec la même détermination son engagement politique antifa et une sexualité libérée. Ne pas en déduire pour autant que l’une vampirise l’autre et que l’autre vit sous influence. Son hôtesse allemande a plutôt tendance à l’encourager à sortir de son cocon et à manifester enfin l’assurance qui lui a toujours manqué, tant elle a été choyée et couvée par une mère poule attentionnée et par conséquent étouffante contre laquelle elle n’a jamais vraiment songer à se révolter comme il est souvent d’usage à l’âge dit ingrat.
Lilith Grasmug et Josefa Heinsius
Pour son deuxième film en solo après ce summum de délicatesse que constituait déjà C’est ça l’amour, titre qui pourrait aussi être celui de Langue étrangère, Claire Burger persiste et signe une magnifique chronique de l’âge des possibles en proie à la confusion des sentiments qui renouvelle un genre trop souvent galvaudé grâce à une rare justesse. Elle s’en remet pour cela à deux jeunes interprètes remarquables : l’irrésistible Suissesse Lilith Grasmug vue récemment dans Foudre et La morsure et une révélation allemande en la personne de Josefa Heinsius. Avec pour mères deux authentiques stars : Nina Hoss et Chiara Mastroianni. Le film joue autant sur la complicité de ces deux jeunes filles jetées dans le grand bain de l’âge adulte que sur ce moment fugace où les enfants se mettent à voler de leurs propres ailes, au risque de les briser. Il émane de ce film très juste, où les champignons hallucinogènes en viennent à jouer le rôle de sérum de vérité, un véritable miracle qui consiste à fixer ce moment magique où tout bascule dans l’ivresse de la métamorphose. Un cap incontournable mais universel que Claire Burger appréhende avec grâce. Elle trouve constamment le ton juste pour exprimer cet état d’esprit indicible qui n’appartient qu’à l’adolescence, avec ses plans sur la comète, ses élans éphémères et ses illusions perdues qui forgeront des adultes résilients et aptes au bonheur. Cet effet miroir entre deux filles que leurs différences rapprochent s’avère tout simplement éblouissant de vérité. Avec en surplomb le sempiternel fossé des générations qui ne semble pas près d’être comblé.
Jean-Philippe Guerand
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