Documentaire bénino-franco-sénégalais de Mati Diop (2024), avec Gildas Adannou, Habib Ahandessi, Joséa Guedje, Imelda Batamoussi, Diane Cakpo, Chamélie Dognon, Morias Agbessi, Gilbert Godovo, Calixte Biah, Abdoulaye Imorou, Paul Timothée Doto, Jules Bocco… 1h08. Sortie le 11 septembre 2024.
Le cinéma du réel a le vent en poupe. En 2023, le réalisateur français Nicolas Philibert décrochait un Ours d’or à la Berlinale pour Sur l’Adamant, premier pan d’un triptyque consacré aux désordres mentaux du point de vue des patients. Un an plus tard, rebelote avec Dahomey de Mati Diop, l’évocation de la restitution au Bénin de certains de ses trésors patrimoniaux dont s’était emparée la France du temps de la colonisation dans une volonté absurde de domination tous azimuts. Un devoir de mémoire solennel dont ce documentaire saisit les multiples enjeux sans jamais se substituer à leur puissance symbolique. C’est au terme de trois siècles d’existence que ce royaume fondé au XVIIe siècle par le roi Houegbadja et devenu une puissance régionale considérable protégée par une puissante armée constituée des fameuses Amazones a été colonisé de 1895 à 1960. D’un coup, ces sculptures, ces fétiches, ces armes et ces bijoux retrouvent leur valeur patrimoniale initiale. Ces œuvres d’art exposées dans un espace européen pour des visiteurs intrigués, sinon reléguées dans les caves du Musée du Quai Branly, renouent avec leur terre natale africaine et recouvrent leur signification initiale, qu’elle soit religieuse ou païenne. Au-delà de ce geste politique et symbolique orchestré en grande pompe en novembre 2021, Dahomey s’attache à une démarche de reconstruction essentielle, à travers la restitution symbolique de ces vingt-six œuvres. Comme un handicapé qui retrouverait l’usage de l’ensemble de ses membres confisqués et se remettrait miraculeusement à marcher en prenant un peu plus d’assurance à chacun de ses pas.
Dahomey est bien davantage que le simple compte-rendu de ce devoir de réparation d’une puissance coloniale vis-à-vis d’un pays redevenu souverain auquel elle rend une partie du patrimoine dont elle l’a naguère dépossédée et qu’avaient magnifié en leur temps Alain Resnais, Chris Marker et Ghislain Cloquet dans leur court métrage Les statues meurent aussi (1953) tourné au Musée de l’Homme. La caméra (et les micros) de Mati Diop s’attache à ces œuvres parfois monumentales en s’attardant sur leurs formes et leur matière. Jusqu’à montrer qu’elles ne retrouvent leur sens et leur majesté qu’en renouant avec leur terre natale africaine où elles sont accueillies comme d’authentiques divinités. À travers cet événement hautement symbolique occulté à l’époque par la surmédiatisation unilatérale des ravages de la pandémie de Covid-19, Dahomey lève le voile sur un phénomène qui vise à vider les grands musées occidentaux des œuvres qu’ils se sont appropriées à l’époque de la colonisation et qui ont amputé certains pays d’une partie de leur patrimoine donc de leur mémoire collective et de leur dignité humaine. Féministe engagée, la réalisatrice franco-sénégalaise couronnée du grand prix du Festival de Cannes 2019 pour son premier long métrage de fiction, Atlantique, intègre dans son film des détails révélateurs quant à son engagement personnel, à commencer par l’usage controversé mais ô combien symbolique de l’écriture inclusive. Avec cette licence poétique audacieuse qui consiste à donner aux trésors une voix intérieure afin d’exprimer la douleur de la spoliation dans cette langue fongbé que pratiquent les Béninois. Dahomey apparaît ainsi comme un “conte gothique” (dixit Mati Diop) qui joue de toutes les composantes du cinématographique pour sublimer son propos symbolique, politique et même philosophique en nous confrontant à nos responsabilités.
Jean-Philippe Guerand
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