Film américain de Doug Liman (2024), avec Matt Damon, Casey Affleck, Hong Chau, Michael Stuhlbarg, Paul Walter Hauser, Ving Rhames, Alfred Molina, Toby Jones, Jack Harlow, Ron Perlman, Jack Harlow, Owen Earls, Natalie Carter, Walter Liebman, André de Shields… 1h42. Mise en ligne sur Apple TV le 9 août 2024.
Matt Damon et Casey Affleck
Le film de casse est un sous-genre à part entière du cinéma policier qui est souvent le prétexte à des études de caractères transcendées par une mécanique de précision. Rompu au cinéma d’action, le réalisateur tout-terrain de Mr. & Mrs. Smith connaît la musique. Il le démontre une nouvelle fois sur un scénario coécrit par le talentueux Casey Affleck connu quant à lui pour ses études de mœurs et ses rôles d’écorché vif, ici en tandem avec Chuck MacLean, le créateur de la série “City on a Hill”. Dans un rôle d’ex-taulard tombé dans la boisson, il en partage en outre la vedette avec un complice de longue date, Matt Damon en père indigne rongé par les remords, l’un et l’autre incarnant deux paumés mal dans leur peau qui acceptent de braquer le pactole des donateurs d’un candidat aux élections municipales afin de récupérer les miettes que leur attribueront des voyous sans scrupules. Mais la mécanique s’enraye et les dindons de la farce pourchassés de toutes parts embarquent avec eux la psychothérapeute de l’un d’eux reconvertie pour l’occasion en chirurgienne de guerre. Exploitant à merveille le cadre urbain de Boston, Doug Liman transgresse les conventions du film noir avec une belle aisance et réalise un improbable chaînon manquant entre les machines bien huilées de la saga Ocean’s Eleven et ces polars où tout se met à dérailler jusqu’à virer à la psychanalyse de groupe.
Matt Damon et Hong Chau
La particularité de l’intrigue de The Instigators est de raconter la rédemption de deux laissés-pour-compte qui vont mener leur mission à son terme à l’insu même de leurs commanditaires, dans un élan surprenant d’idéalisme civique face à un politicien corrompu qui se comporte comme un caïd en costume trois-pièces (le colosse Ron Perlman dont la stature nourrit le personnage). On retrouve dans ce polar doté d’un supplément d’âme certains thèmes chers au cinéma de dénonciation des années 40 et notamment des films noirs de ces petits maîtres du genre que furent Robert Rossen et Robert Wise. Ses anti-héros unis pour s’en sortir vont trouver un sens à leur vie dans leur œuvre de salubrité publique où l’appât du gain se trouve peu à peu relégué à une fonction accessoire. Le fameux magot n’est qu’un prétexte car l’important est ailleurs : dans la quête de dignité de ce tandem comme les Buddy Movies en ont affiné le principe. Ces merveilleux perdants sont de lointains cousins de tant d’éclopés de l’existence en quête de dignité au premier rang desquels le duo inoubliable formé par Dustin Hoffman et Jon Voight dans Macadam cowboy de John Schlesinger. Comme la face cachée de l’Amérique la plus arrogante. Avec en filigrane une seule aspiration qui vaille : trouver sa juste place dans ce monde impitoyable, aussi modeste soit-elle.
Jean-Philippe Guerand
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