Volveréis Film franco-espagnol de Jonás Trueba (2024), avec Itaso Arana, Vito Sanz, Fernando Trueba, Jon Viar… 1h54. Sortie le 28 août 2024.
Vito Sanz et Itaso Arana
Jonás Trueba excelle dans l’art délicat de la frise intimiste. Ce réalisateur espagnol à l’écoute de sa génération avait surpris tout le monde en remportant un joli succès avec Eva en août (2019), chronique d’un été vécu par une femme assaillie de doutes et de désirs. Chez lui, les petits riens forment systématiquement un grand tout aux contours flous et aux enjeux plus déterminants qu’il ne pourrait y paraître au premier regard. Septembre sans attendre, dont le titre semble résonner en écho au précédent, s’attache à un couple résolu à organiser une fête pour célébrer… sa séparation après quinze ans de vie commune et d’harmonie sans ombre. Un projet qui va semer le trouble au sein de son entourage et le forcer à se poser des questions rien moins qu’existentielles sur la pérennité véritable des sentiments. La complicité même qui les unit lorsqu’ils mettent au point la cérémonie dans ses moindres détails atteste de l’inanité de leur décision qui apparaît surtout comme un caprice d’enfants gâtés impuissants à se remettre en question et surtout à privilégier ce qui les unit plutôt que les détails négligeables qui les agacent. État des lieux ponctué de moments d’une rare justesse qu’on ne peut observer sans se dire que ces deux-là n’ont vraiment rien pour se séparer et qu’ils ne réussiront jamais à vivre l’un sans l’autre, même s’ils en sont arrivés à ce stade à double tranchant où l’on se connaît trop et où chaque phrase de l’un peut être achevée par l’autre.
Itaso Arana et Vito Sanz
À son habitude, Jonás Trueba nourrit une empathie incroyable avec ses protagonistes où l’amertume n’a jamais sa place malgré son sujet. Il est soutenu en cela par ses deux interprètes principaux, sa muse Itaso Arana, qui a accompli récemment des débuts remarqués de réalisatrice avec l’euphorisant Les filles vont bien, et Vito Sanz, déjà réunis dans Venez voir (2022). Poursuivant une expérience qui lui a plutôt bien réussi par le passé, l’auteur les a d’ailleurs impliqués dès l’écriture, comme il en a pris l’habitude, tout en confiant par ailleurs un second rôle éminemment symbolique à son propre père, lui aussi réalisateur, Fernando Trueba. Comme pour marquer son territoire et démontrer combien il s’est investi intimement dans les plus infimes détails d’une chronique conjugale dédramatisée dont les sourires contiennent les larmes. Il émane de son approche toute personnelle de la comédie de mœurs une énergie euphorisante d’une justesse confondante et confirme le don d’observation d’un cinéaste qui se nourrit du moindre détail avec une rare fraîcheur, comme l’atteste son œuvre maîtresse à ce jour : la fresque générationnelle Qui à part nous (2018). Il y suivait des adolescents cinq ans durant, en créant son propre no man’s land artistique entre documentaire et fiction, moments captés dans le réel et séquences improvisées fondus les uns dans les autres sans souci de fabrication calculée. Film après film, Jonás Trueba joue de cette confusion savamment entretenue pour atteindre à l’essentiel. Un jeu de la vérité troublant qui s’appuie sur une maîtrise vertigineuse de la psyché humaine qu’il partage avec ses interprètes, que ceux-ci jouent des rôles où se mettent à nu devant sa caméra sans tricher. Bien malin qui pourrait s’y retrouver. Mais l’essentiel se situe évidemment ailleurs : dans cet art délicat de l’étude de caractères où il excelle sans jamais se prendre au sérieux. Juste en ouvrant les yeux et en observant la vie.
Jean-Philippe Guerand
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